Actualité juridique pénale
Le portable en quête de mobile pour entrer en prison
Photo : Des portables saisis à la prison de Fresnes, en avril. Photo Bernard Bisson. Divergence
Personne n’a vraiment remarqué que la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, s’est engagée à «augmenter le nombre de conseillers d’insertion», à réfléchir aux peines alternatives ou encore «à améliorer la procédure pénale». En revanche, deux phrases publiées dansla Provence, le 22 août, après sa visite à la prison de La Farlède (Var), se sont propagées : celles relatives à l’introduction de téléphones portables bridés en prison. Réagissant à l’initiative défendue par Adeline Hazan, Contrôleur général des lieux de privation de liberté, la ministre a souligné : «Cette idée n’a rien d’absurde. […] Il faut donner aux détenus des moyens de communication. Par des portables contrôlés ou des lignes fixes.» On est bien loin d’une déclaration enflammée ou d’un engagement ferme. Pourtant, les réactions ont été immédiates. Georges Fenech, ancien député et secrétaire national LR, a tweeté dans la foulée : «Stupéfaction ! La ministre de la Justice favorable au portable en prison ! La garantie du lien avec Daech.» Suivi, sur les réseaux sociaux, par le traditionnel cortège décrivant la prison, au choix, comme un «hôtel quatre étoiles», «le club Med» ou une «auberge de jeunesse». Sans surprise (car le débat n’est guère nouveau), les principaux syndicats pénitentiaires sont vent debout. Contacté par Libération, Stéphane Barraut, secrétaire adjoint de l’Ufap-Unsa, s’agace : «On est fortement opposés à la mesure, des téléphones portables seront difficiles à contrôler et cela mettra en insécurité permanente les personnels et les citoyens.» Même avis de Jérôme Nobecourt, secrétaire interrégional FO, qui précise : «On sait bien qu’il y aura toujours une parade pour débrider un téléphone.»
Lien entre dedans et dehors
Le sujet est particulièrement sensible, comme tous ceux qui touchent à l’articulation entre droits des détenus et impératifs de sécurité. Si les quelques mots de Nicole Belloubet ont fait un tel tintamarre, c’est aussi parce qu’ils tranchent avec la posture de ses prédécesseurs. Christiane Taubira, Jean-Jacques Urvoas ou même François Bayrou durant son passage éphémère à la chancellerie, s’étaient placés du côté de la chasse aux portables illégaux (on estime que presque chaque détenu en possède un), en insistant sur la nécessité de la mise en place de brouilleurs. Alors mercredi, le ministère de la Justice a tenté l’apaisement en gommant le mot litigieux du discours officiel :«On ne travaille pas sur l’idée des portables, mais plutôt de téléphones fixes dans les cellules», explique-t-on à Libération. Tout en faisant référence à une expérimentation actuellement menée à la prison de Montmédy, dans la Meuse. Des lignes fixes ont en effet été installées depuis 2016 dans les 290 cellules. La chancellerie espère ainsi lutter contre les violences induites par les trafic, mieux contrôler les communications, offrir aux détenus des horaires plus larges pour les coups de fil et diminuer les coûts. D’après le ministère, les saisies de téléphones portables à Montmédy ont d’ores et déjà baissé de 30 % sur le premier trimestre 2017. Ce serait donc cette expérience qui servirait de point de départ à la réflexion de Nicole Belloubet.
Au-delà de la polémique et des fantasmes, les propos de la ministre ont le mérite de mettre en lumière la question de la communication en prison, celle du lien (ténu) entre dedans et dehors. Etonnamment, il a fallu attendre la loi pénitentiaire de 2009 pour que les condamnés mais aussi les prévenus puissent avoir accès au téléphone entre les murs. «Les personnes détenues ont le droit de téléphoner aux membres de leur famille. Elles peuvent être autorisées à téléphoner à d’autres personnes pour préparer leur réinsertion. Dans tous les cas, les prévenus doivent obtenir l’autorisation de l’autorité judiciaire»,précise l’article 39. Il s’agit non pas de cabines mais de «points phone», répartis dans les coursives et les promenades des différents établissements et strictement contrôlés. Chaque détenu dispose d’une liste de contacts autorisés et peut utiliser le téléphone dans des créneaux définis (généralement de 9 à 11 heures, puis de 14 à 16 heures). Ce qui présente plusieurs embûches, comme le coût élevé ou la difficulté à joindre leur conjoint qui travaille ou les enfants à l’école. Sans compter le manque de confidentialité. Dans un arrêt du 23 juillet 2014, le Conseil d’Etat a ainsi enjoint à l’administration pénitentiaire à prendre des mesures dans la prison de Rennes-Vezin. Les téléphones placés «à proximité de la grille pallière», obligeaient les détenus à parler fort pour se faire entendre et portaient «atteinte à l’intimité et à la confidentialité». Pour ces raisons, certains points phone sont délaissés au profit des portables clandestins qui sont pléthore en cellules.
«Boule», drône et corruption
Selon l’administration pénitentiaire, au premier semestre 2017, 19 339 téléphones et accessoires (puces, chargeurs, etc.) ont été découverts en détention. Ils franchissent souvent les murailles par la voie des airs. Un surveillant de la maison d’arrêt surpeuplée de Nîmes confiait il y a quelques mois à Libération : «On est bombardés. Les lanceurs sur le parking à l’extérieur de la prison ont trouvé un angle de tir qui leur permet de profiter d’un trou entre les filets. Dans la promenade, les détenus forment alors une boule et dépiotent à toute allure le colis.Il y a de tout : alcool, téléphones, cannabis et même couteaux en céramique.» En janvier, un drône a carrément déposé deux téléphones dans la cour de la prison d’Annœullin (Nord). De façon plus traditionnelle, les portables transitent également par les parloirs. Jérôme Nobecourt, en poste à Osny (Val-d’Oise) souligne :«Les saisies sont énormes, tous les jours on en découvre ! Beaucoup de téléphones ne sonnent pas aux portiques de sécurité car ils ne contiennent pas assez de masse métallique. D’autres sont très petits. Et puis c’est sans fin : vous saisssez un téléphone, le lendemain il y a en a un autre.» Enfin, troisième voie de passage : la corruption. C’est ainsi qu’en décembre dernier, trois gardiens de la prison de Fresnes ont été épinglés pour avoir fait rentrer drogues et téléphones moyennant finance.
Selon les surveillants pénitentiaires, les portables sont un fléau : ils serviraient à gérer les trafics, menacer les personnels en les photographiant à leur insu, fomenter des évasions ou réaliser des vidéos illicites. On se souvient du mémorable rappeur «Bibi-Craveur» et de sa dernière création partagée en août sur Facebook : un clip entièrement tourné au téléphone dans la prison d’Aiton en Savoie. Pour autant, François Bès, coordinateur du pôle enquête à l’Observatoire international des prisons (OIP) – qui milite de longue date pour la généralisation des mobiles bridés en prison – estime que «la plupart des détenus utilisent leur téléphone pour maintenir des liens avec leur famille. C’est aussi un moyen de prévenir les suicides».Il évoque le témoignage d’Hélène, la mère d’un détenu, qui n’avait pas de nouvelles de son fils depuis un mois et demi en attendant le permis de visite. Elle a raconté à l’OIP le soulagement ressenti lors du premier message : «On a communiqué toute la nuit. Ces SMS nous ont permis de respirer, de savoir qu’il allait bien, la seule chose qui comptait. Savoir qu’il n’était pas battu, pas violé.»
A d’autres reprises, les téléphones ont pu être utilisés pour prévenir les pompiers en cas d’urgence ou alerter sur la détresse d’un détenu. «Tout ça c’est une manière de pallier les manques de l’administration pénitentiaire», insiste François Bès. Il lui arrive aussi de recevoir des images de la part des détenus pour dénoncer les conditions de détention, la crasse, la misère ou les rats qui pullulent dans les coursives. A Fresnes, ils sont certainement encore plus nombreux que les portables.
Julie Brafman
Source : http://www.liberation.fr
Date: 24 août 2017
Auteur: Julie Brafman
Catégorie: Actualités juridique pénale