tribune
La justice aveugle face à l’autisme
Philippe-Henry Honegger / Avocat pénaliste, cabinet RUBEN & ASSOCIES
Début avril, le gouvernement a égrené son plan autisme, axé sur le diagnostic et l’accompagnement des autistes dès leur plus jeune âge. On ne peut qu’encourager de telles initiatives, nécessaires et réclamées depuis tant d’années. Néanmoins, un sujet semble totalement oublié et pourtant d’une importance capitale si l’objectif est d’offrir pleinement aux autistes la place qui est la leur dans notre société…
Cet enjeu c’est celui du rapport qu’entretient la justice avec les personnes atteintes de troubles du spectre de l’autisme. Une loi sur le handicap a été adoptée en 2005 afin d’offrir aux personnes en situation de handicap un accès, mais également un traitement adapté à leur situation à tous les niveaux institutionnels. C’est également cette direction qui doit être suivie pour les personnes atteintes d’autisme, qui, rappelons-le, arrivent elles aussi à l’âge adulte et peuvent se retrouver comme n’importe quel citoyen, face à la justice. La police, la justice, la prison sont aujourd’hui incapables d’appréhender de manière adaptée les personnes autistes tant le diagnostic est parfois difficile et les situations diverses.
Pourtant il n’est pas difficile d’imaginer les difficultés qui peuvent se présenter si un autiste, ayant par définition des difficultés de communication, fait l’objet d’un contrôle d’identité inopiné ou une interpellation musclée. On peut aisément comprendre comment un mot, un regard, une attitude pourrait conduire, d’un côté comme de l’autre, à une incompréhension dont les conséquences seront toujours en défaveur de celui qui ne supporte pas qu’on le touche, qui ne comprend pas les ordres qu’on lui donne et qui peut réagir parfois violemment à la contrainte physique, à une parole un peu trop ferme ou à l’enfermement.
Ces particularités sont malheureusement rarement prises en compte. Combien d’affaires où l’on s’arrange d’un gardé à vue qui ne comprend rien à ce qui se passe pour obtenir des déclarations utiles ? Combien de fois où les médecins en quelques minutes dans des locaux de police immondes n’ont pas le temps de déceler le problème ? Combien de fois où la justice reste elle même totalement fermée sur elle-même, incapable de prendre en compte la spécificité d’une population qui représente 1 personne sur 100 en France, soit 600 000 autistes en France ! C’est potentiellement une personne sur 100 que l’on peut croiser, sans le savoir, dans les locaux de garde à vue, dans les salles d’audience, dans les prisons. Parce qu’en prison c’est encore pire, au manque de formation des personnels, au manque de moyen de l’institution, s’ajoute l’inadaptation absolue de la mesure d’incarcération à des personnes qui ont besoin d’une attention toute particulière, chaque jour d’enfermement n’étant que l’aggravation du précédent de manière parfois irrémédiable.
Face à ces problèmes, face à ce défi, le plan autisme du gouvernement semble oublier que partout, même dans les locaux de police, même dans les salles d’audience, même au fond des cellules de prison, on doit prendre en compte la particularité des personnes autistes et leur offrir un traitement adapté. Pour cela, pourquoi ne pas envisager des procédures d’exception, un diagnostic ciblé et systématique en garde à vue, une prise en charge particulière en détention ? Autant de mesures nécessaires pour que les personnes autistes soient enfin traitées comme des citoyens comme les autres – dans le meilleur, mais aussi dans le pire.
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