Actualité juridique pénale
Ce que notre obsession pour les faits divers révèle de nous
Véritable passion populaire, les faits divers ponctuent l’actualité. Et interrogent nos pulsions inconscientes… Rencontre avec Patrick Avrane, psychanalyste et auteur de l’ouvrage Les Faits divers.
Quelles sont les caractéristiques du fait divers contemporain ?
Patrick Avrane – Le fait divers est très concret et précis. D’une part, c’est une chose que l’on peut comprendre sans connaître le contexte historique ou politique. Dans un second temps, le fait divers a sa propre logique, il est clos, il y a un début et une fin. Le début est souvent clair, la fin l’est moins, surtout dans les affaires à rallonge comme l’affaire Grégory…
De plus, il se situe à la limite du possible et de l’impossible. Quand un enfant tombe du troisième étage de son immeuble et qu’il se casse un bras, c’est un fait divers car c’est extraordinaire. Enfin, le fait divers est laïque, ce n’est pas un miracle. A partir du moment où l’on donne une explication, ce n’est plus un fait divers mais un fait religieux ou historique. Tant qu’on dit « ce veau a deux têtes parce que la vache a été fécondée par Satan », ce n’est pas un fait divers.
De nombreux écrivains utilisent des faits divers (Zola, Maupassant, Flaubert…) en guise d’inspiration. Pourquoi cette fascination ?
Pour les écrivains naturalistes qui ont créé le roman, c’était une façon de décrire la réalité, de montrer qu’elle était toujours au-delà de ce que l’on peut imaginer. Ce mouvement continue encore aujourd’hui avec Leïla Slimani par exemple (Lire la critique de Chanson douce parue dans Les Inrockuptibles), qui part souvent de faits divers authentiques. Et puis il y a d’autres romanciers, comme Emmanuel Carrère (Entretien avec Emmanuel Carrère à propos de La Vie des autres), qui utilisent la réalité du fait divers pour en faire un roman. Les premiers les utilisent les faits à l’intérieur de leurs romans, les seconds font du roman à partir d’eux.
Qu’il réjouisse ou rebute, le fait divers est-il finalement universel ?
Le but du fait divers est d’intéresser tout le monde, ou du moins le plus grand nombre. L’affaire des enfants coincés cet été dans la grotte en Thaïlande a passionnée la terre entière. A l’inverse, certains faits divers n’intéressent qu’un groupe d’individus, comme un scooter en feu sur le parking d’un supermarché. En tout cas, le fait divers ne peut pas être individuel, il favorise le rassemblement, le dialogue. Il crée du lien social.
Néanmoins, il n’existe pas d’équivalent du terme hors de la langue française. La France a t-elle une culture particulière du fait divers ?
Le terme n’a pas strictement d’équivalent, mais ce n’est pas pour autant qu’il n’y a pas d’autres faits divers. Quand on regarde les grands faits divers, il y a des télévisions et des journalistes du monde entier. Ce qui est propre à la France, c’est l’invention du mot, à la fin du XIXe siècle. Avec le développement des journaux à grand tirage et pas chers, comme Le Petit Journal, le premier à vraiment vivre de ça. Sans oublier que la France a été le pays des grands romanciers au même moment. Balzac et Zola, pour ne citer qu’eux, sont des romanciers universels. Et Jules Verne a été l’auteur le plus traduit au monde !
Date: 10 octobre 2018
Titre: www.lesinrocks.com
Auteurs: Interview Manon Michel
Photo: © Les Inrockuptibles
Catégorie: Actualités juridique pénale