Six mois après l’incendie de deux parkings, dans la soirée du 10 juillet, à Aurillac, deux hommes étaient présentés en comparution immédiate ce lundi 14 janvier devant le tribunal correctionnel d’Aurillac. Les faits n’ont pas été examinés par le tribunal : le dossier est reparti à l’instruction, et pourrait bien se terminer devant une cour d’assises…
Le dossier devait être jugé en comparution immédiate, ce lundi 14 janvier, la juridiction reservée aux cas simple. Raté : Jamal E. et Mathias M. n’ont pas été interrogé sur les faits. Au cours d’une journée riche en rebondissements, l’enquête autour des incendies de parkings d’Aurillac a été renvoyée à l’étude, et va être confiée à un juge d’instruction du Pôle criminel de Clermont-Ferrand.
Le matin
Me Philippe-Henry Honegger et Me Steeve Ruben, les deux avocats parisiens de Jamal E. et Mathias M. arrivent à Aurillac en voiture – leur vol a été annulé au dernier moment. Dès leur arrivée, ils découvrent dans le dossier de nouvelles pièces qui viennent d’être déposées par le procureur Olivier Clémençon.
Le 10 juillet, deux parkings du centre-ville brûlent, une dizaine de voitures sont détruites. Sur la vidéosurveillance, deux hommes encagoulés apparaissent, ils sont recherchés.
Le 6 décembre, deux hommes sont placés en garde-à-vue : le premier, 22 ans, purge une peine, le second a été placé en détention provisoire quelques semaines auparavant, mis en examen dans le cadre d’une autre enquête.
Le 7 décembre, présentés en comparution immédiate à l’issue de leur garde à vue, les deux hommes demandent un délai pour préparer leur défense. Ils sont maintenus en détention dans l’attente de la seconde audience, fixée au 14 janvier.
Ces pièces concernent une autre instruction, un trafic de stupéfiant rue de la Coste sur lequel la Sûreté urbaine d’Aurillac enquête depuis plusieurs mois. Un lien a déjà été établi entre les deux dossiers : l’un des deux prévenus, Jamal E., est mis en examen, et placé en détention provisoire dans le cadre de cette instruction en cours. Rapidement, les deux avocats déposent de nouvelles conclusions : à l’audience de 14 heures, ils comptent demander un renvoi de l’affaire vers un juge d’instruction.
14 heures
Il y a du monde dans la salle d’audience du tribunal d’Aurillac. Certaines victimes sont venues, de même que Bernard Tible, élu représentant la Ville d’Aurillac. En plus de cela, des magistrats et des greffiers sont descendus des étages pour assister au début de l’audience.
Défense. Les deux avocats de la défense ne sont pas tout à fait des inconnus. Me Philippe-Henry Honegger est un pénaliste régulièrement sollicité par les chaînes d’infos en continue, en tant qu’expert. Il s’est associé en 2011 à Me Ruben, connu pour être l’avocat du rappeur Fianso, celui-ci lui a d’ailleurs dédié une chanson. Le refrain : « Allô, allô, Maître Ruben? Maudit par les lois, j’marche avec les loups »
Une fois les deux prévenus installés – ils ne parleront pas, sinon pour décliner leur identité –, c’est Me Honegger qui prend la parole pour plaider la demande de renvoi. Très prudent, il évite de parler des nouvelles pièces versées par le procureur de la République puisqu’elles sont protégées par le secret de l’instruction. Tout juste l’examen de cette demande permettra au public de comprendre qu’un troisième homme, présenté comme un commanditaire, y est évoqué. Un individu à la fois lié au trafic de stupéfiants et aux incendies, un homme qui reste à identifier.
« Ce sont des éléments qui viennent radicalement changer la face du dossier, qui soulèvent de nouvelles questions », plaide l’avocat Me Ruben.
La justice a horreur du hasard. Est-ce qu’il y a une urgence absolue à juger ce dossier aujourd’hui ? Tellement d’éléments vous disent « Il va falloir creuser un petit peu… »
Au parquet, le procureur Olivier Clémençon estime que les deux hommes peuvent être jugés ce jour.
16 heures
Le délibéré tombe : « Au regard de la complexité de l’affaire », le tribunal fait droit à la demande des deux avocats de la défense. Le dossier doit être confié à un juge d’instruction, les deux hommes sont maintenus en détention.
« C’est un devoir pour le tribunal de le faire, quand il ne s’estime pas assez éclairé, analyse Me Ruben. Le parquet a été pris à son propre piège, en rendant complexe une affaire qui ne l’était pas. »
Les deux avocats s’excusent auprès des victimes, dans la salle. Bernard Tible, représentant la Ville, n’aura pas pu porter la voix des Aurillacois : « J’aurais parlé d’un traumatisme profond, on est passé à côté de quelque chose qui aurait pu être plus grave », explique-t-il. « Je comprends que la société attend une réponse pénale, répond Me Ruben. Mais qu’ils soient jugés aujourd’hui ou dans 18 mois… » « On serait passé à côté d’éléments qui éclairent le tribunal », complète Me Honegger.
Fin d’après-midi
Le bureau du juge d’instruction aurillacois n’est pas très loin de la salle d’audience, mais ce n’est pas lui qui va instruire ce dossier. Le parquet d’Aurillac s’est dessaisi de l’affaire au profit du pôle criminel de l’instruction de Clermont-Ferrand. Les deux hommes devraient être mis en examen pour avoir mis le feu aux parkings, « en bande organisée », et en récidive.
Pour Olivier Clémençon, le dossier avait été correctionnalisé « pour avoir l’opportunité de le juger plus vite, explique-t-il. À l’audience, le tribunal et la défense ont estimé que le dossier était complexe. Dès lors, autant le saisir dans toute sa complexité criminelle. »
Si les deux hommes avaient été jugés ce lundi 14 janvier, ils risquaient 20 ans d’emprisonnement. Mais si, à l’issue de l’instruction, ils sont renvoyés devant une cour d’assises, c’est la réclusion criminelle à perpétuité qui serait encourue.
Début de soirée
Pour Me Honegger, retenir une qualification criminelle dans ce dossier est « ridicule », et il estime qu’il n’aura pas à plaider devant un jury populaire : « C’est un peu la réponse du berger à la bergère, analyse l’avocat, sur la route du retour. Mais le juge qui va récupérer ce dossier pour l’instruire, cela va le faire sourire… »
« Vous imaginez une cour d’assises pour une dizaine de voitures brûlées ? »,
Me Steeve Ruben (avocat de la défense)
Le jugement rédigé, les deux hommes ont été renvoyés en cellule, l’un à la maison d’arrêt d’Aurillac, l’autre à Riom. La procédure prévoit un délai de trois jours pour que les deux hommes soient présentés à un juge d’instruction.
Source : www.lamontagne.fr
- Date: 15 janvier 2019
- Titre: La Montagne
- Auteurs: Pierre Chambaud
- Photo: Pierre Chambaud
- Catégorie: Articles de presse