Actualité juridique pénale
Instruction : un secret qui n’en a que le nom
Nécessaire pour garantir la présomption d’innocence et le bon déroulé d’une investigation, la confidentialité d’une enquête, souvent mise à mal, est en ce moment au cœur d’une mission d’information parlementaire.
Il y a ce juge antiterroriste agacé qui réfléchit à l’origine de la fuite : «Putain, qui a balancé ?» Cette avocate qui ouvre le journal au réveil et y découvre une double page sur une affaire sensible, dont elle a égaré le disque dur la veille. Ces journalistes, objets de poursuites après avoir dévoilé des éléments d’une enquête judiciaire en cours. Le point commun à ces situations ? La question du secret de l’instruction et, par extension, de sa violation. A l’ère de la transparence, de l’ultramédiatisation et de la dématérialisation des procédures, ce secret – et plus largement celui de l’enquête – est-il devenu un secret de polichinelle ? Tellement érodé qu’il serait caduc, comme le concèdent certains magistrats ? Voire carrément bon à être supprimé ?
Eternel serpent de mer judiciaire, le débat autour de cette notion fondatrice du droit pénal, éminemment politique, revient sur la scène à la faveur d’une mission d’information parlementaire lancée par Xavier Breton (LR) et Didier Paris (LREM), dont les conclusions devraient être rendues à la commission des lois, à l’automne. L’enjeu est essentiel : dans une société démocratique, où la garantie des droits fondamentaux passe tant par la nécessité du secret de l’enquête – garant de la présomption d’innocence et de la sérénité des investigations – que par la liberté d’expression et le droit des citoyens à être informés, comment arbitrer entre ces principes et faire coexister leurs intérêts contradictoires ?
Le président de l’Association de la presse judiciaire (APJ), Jean-Philippe Deniau, résume bien l’imbroglio : «Dans le grand jeu de l’enquête judiciaire, c’est comme si on jouait une partie de cartes avec, chacun, des règles différentes. Donc la partie est impossible.» Epineux, le débat porte sur une minorité d’affaires : dans seulement 3 % à 5 % des cas, un juge d’instruction est saisi. Mais ce sont aussi les plus complexes, des faits divers sordides aux dossiers politico-financiers.
En parlant d’une «instruction», on désigne ainsi l’enquête (appelée «information judiciaire») confiée à un magistrat indépendant, le juge d’instruction (on en compte 564 en France), et menée par celui-ci. Une ouverture automatique lorsqu’un crime est commis et qui concerne, pour le reste, des délits graves ou sensibles. Soit 17 591 informations judiciaires en 2017, selon le ministère de la Justice.
Date: 11 août 2019
Titre: Libération
Auteur: Chloé Pilorget-Rezzouk
Photo: Vincent Nguyen / Riva Presse
Catégorie: Actualités juridique pénale