En 2013, deux policiers éborgnaient une mère de famille et blessaient son fils à Villemomble, en Seine-Saint-Denis, au cours d’une interpellation au motif bancal et au déroulé anarchique.
Nous sommes le 25 juin 2013, aux alentours de 20h30. Il fait doux, ce soir-là, à Villemomble. C’est le cœur de l’été, et la cité de la Sablière vaque à ses occupations. Les enfants jouent au foot, du monde aux fenêtres. Makan Kébé, animateur municipal de 20 ans, rentre chez lui après une journée de travail. Investi dans sa ville, le jeune homme a des projets plein la tête. Quelques semaines plus tôt, il déposait les statuts de son association Quartiers libres, pour “promouvoir la culture au sein des quartiers populaires”. Alors qu’il arrive au pied de son immeuble, des cris retentissent. Plusieurs hommes se ruent vers lui. Hurlent : ”Arrête toi !”. Le frappent, le plaquent au sol. Ce sont des fonctionnaires de police qui interviennent alors dans le cadre d’une affaire de rodéo à dos de motocross, qui a dérapé un quart d’heure plus tôt.
À quelques mètres de là, son frère aîné Mohamed Kébé assiste à la scène par la fenêtre de l’appartement de leur mère, au quatrième étage du bâtiment. Choqué, il descend en trombe pour libérer son frère. Le situation dégénère et Mohamed, seul et non armé, fait face à de nombreux fonctionnaires : entre temps, les policiers ont déclenché leur signal de détresse, faisant accourir des dizaines d’équipages de tout le département. À la fin de l’intervention, il y a plus de 80 fonctionnaires sur place… qui font allègrement usage de leurs fameuses armes intermédiaires.
« C’était comme une armée », décrira une voisine devant la Cour d’assises, 7 ans après les faits. Mohamed finit balayé par un policier, gazé, frappé, et reçoit un tir de LBD à l’oreille qui lui endommagera durablement l’ouïe. La mère de Mohamed et Makan, Fatouma, descend elle aussi pour tenter de calmer une situation devenue explosive.
Elle tient son petit-fils de quatorze mois dans les bras. Elle reçoit alors un éclat de grenade désencerclante dans l’oeil qui la laisse éborgnée, mutilée à vie, des années avant les désormais symboliques Gilets Jaunes. Dans la confusion, une autre femme est blessée superficiellement par un tir de flash-ball. De nombreuses vidéos de la scène existent, et ont été longuement examinées au cours de deux procès.
Malgré tout, le 12 mars 2020, à l’issue des 6 jours d’audience du procès en appel, l’acquittement des policiers sonne comme un coup de massue. La seule personne condamnée dans cette affaire sera finalement Mohamed, pour outrage et rébellion. Un jugement implacable qui aura permis de mettre en lumière les agissements d’une police qui se défend coûte que coûte, soutenue par un système pénal qui sait protéger les siens.
93 fantasmes policiers
7 ans après les faits, une nouvelle Cour d’assises s’installe donc dans l’ancien Palais de Justice de Paris, sur l’île de la Cité. C’est un deuxième jugement pour cette affaire : en première instance, le ministère public a fait appel de l’acquittement des deux policiers, chose exceptionnelle. Après la nomination des jurés et le rappel des faits, le premier témoin se présente. C’est un ancien commissaire divisionnaire de l’IGS (ex-IGPN), chargé de l’enquête administrative.
Sur le déroulé, ses propos sont flous. Un plan est présenté à la salle, et le commissaire se trompe de rue. « Je ne suis pas allé sur place », admet-il. Il évoque toutefois des policiers « submergés par le nombre » dans une « cité sensible », un « contexte de violences urbaines » voire « d’émeutes ». Mais quand le président lui demande pourquoi il parle de « cité sensible », il admet n’avoir jamais travaillé là bas… « Ce sont des propos qui m’ont été rapportés », se défend-il.
Un autre témoin, lui aussi gradé, se lance dans de longues considérations sur la difficulté du travail de police en Seine-Saint-Denis. Dans leurs déclarations respectives se dessine ce 93 fantasmé, dangereux, peuplé “d’adversaires”, rythmé par les “guérillas urbaines”, à grand renfort de nombreux poncifs sur « les banlieues », leur « minorité de voyous agissante » et leur « majorité silencieuse » qui serait en demande de plus de police.
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- Date: 24 avril 2020
- Titre: Le Média
- Auteur: Clara Menais
- Photo: Téo Cazenaves – Le Média
- Catégorie: Articles de presse