ENTRETIEN. Durcir la réponse pénale auprès des auteurs d’insultes visant les maires : une mesure dissuasive ? Réponse avec le pénaliste Philippe-Henry Honegger.
La réplique politique aux multiples agressions verbales dont les maires sont l’objet se traduira par un changement de qualification juridique. Les insultes proférées à leur encontre seront désormais systématiquement considérées comme des « outrages » et non plus des « injures », comme c’est le cas dans de nombreuses affaires, a promis Éric Dupond-Moretti à la sortie d’une réunion interministérielle du 2 septembre à laquelle participaient des associations d’élus. L’objectif ? Apporter une « réponse proportionnée, systématique et immédiate » aux attaques contre les élus, a précisé le ministre.
Certains maires jugent cette mesure insuffisante. En quoi « l’outrage » changera-t-il la donne en termes d’efficacité des poursuites et de répression ? Les réponses de l’avocat pénaliste Philippe-Henry Honegger.
Le Point : Que vous inspire ce changement de qualification juridique ?
Philippe-Henry Honegger : Je suis surpris d’apprendre que certains auteurs sont poursuivis sur le terrain de l’injure publique. Les maires (et leurs adjoints) sont considérés comme des officiers de police judiciaire (article 16 du Code de procédure pénale, repris dans l’article L 2121-31 du Code général des collectivités territoriales). Et dès lors qu’on les injurie ou qu’on les provoque verbalement dans le cadre de leur fonction, c’est comme si on insultait un policier ou un magistrat. C’est donc la qualification d’outrage qui devrait systématiquement être retenue dans la mesure où il y a véritablement « atteinte à la dignité ou au respect de la fonction » (article 433-5 du Code pénal relatif aux « outrages »). Il est plus grave d’insulter un policier ou un maire que son voisin !
Sur le plan des peines, quelle est la différence entre l’outrage et l’injure publique ?
L’injure publique relève de la loi sur la presse de 1881 qui sanctionne son auteur de 12 000 euros d’amende. Et c’est le tribunal de police qui est saisi. En revanche, l’outrage relève du Code pénal et son auteur est jugé par le tribunal correctionnel. Quand il s’adresse à une personne dépositaire de l’autorité publique, l’auteur encourt au maximum un an d’emprisonnement. Le juge peut néanmoins choisir l’une des peines alternatives prévues par le Code pénal, et notamment le travail d’intérêt général (TIG).
Qu’est-ce que cela change en termes de procédure ?
Dans les deux cas, la victime dépose une plainte auprès de la police. La plainte est ensuite communiquée au procureur qui décide du mode de poursuite. Le maire peut aussi déposer une plainte directement entre les mains du procureur.
Lorsque les peines encourues sont faibles, comme c’est le cas de l’injure, on peut avoir recours à une procédure simplifiée : l’ordonnance pénale. Dans ce cas, pour gagner du temps, le procureur convoque la personne et lui remet une amende.
Dans le cas de l’outrage, la procédure est plus lourde s’agissant d’un délit : la personne peut être placée en garde à vue, puis elle comparaît à l’audience correctionnelle et risque une peine privative de liberté.
Certains maires jugent cette mesure trop symbolique. Les suites judiciaires seront-elles plus efficaces et plus rapides après le dépôt de plainte d’un maire « outragé » ?
Plus rapide ? Pas forcément, d’autant que la procédure est plus lourde. L’audiencement devant le tribunal correctionnel est plus long que la simple délivrance d’une ordonnance pénale. Naturellement, si les insultes se doublent de violences physiques, l’auteur sera alors poursuivi pour violences volontaires aggravées par la qualité de personne dépositaire de l’autorité publique (5 ans de prison maximum).
Si l’insulte présente un caractère racial, sexiste ou homophobe, l’auteur encourt-il des peines plus lourdes ?
Il n’existe pas de circonstance aggravante à raison du caractère racial, sexiste ou homophobe de l’outrage. L’auteur encourt par conséquent un an d’emprisonnement. Mais on pourrait aussi qualifier son acte d’injure publique à caractère racial, qui est également puni d’un an d’emprisonnement. C’est ce qu’on appelle un conflit de qualification. Dans un tel cas, c’est le procureur qui choisit celle qui lui semble la plus opportune.
Le garde des Sceaux a promis une circulaire à destination des procureurs. Les magistrats du parquet pourront-ils encore poursuivre les auteurs sur le terrain de l’injure ?
Le principe est le suivant : le procureur est soumis au pouvoir hiérarchique du garde des Sceaux sur la politique générale. Mais à l’audience, il est libre de faire ce qu’il veut et peut donc théoriquement poursuivre l’auteur sur le terrain de l’injure. Mais cela est peu probable dans les faits…
Source : www.lepoint.fr
- Date: 4 septembre 2020
- Titre: Le Point
- Auteurs: Laurence Neuer
- Photo: Philippe Lopez / AFP
- Catégorie: Articles de presse