Les billets d’humeur de Maître Philippe-Henry Honegger
En effet, nous avons connu trois faits ces deux dernières semaines qui permettent de s’inquiéter : survenus soudainement en peu de temps, nous nous disons alors qu’il s’agit d’un phénomène de société. Ces faits suscitent une émotion légitime parce qu’il s’agit d’enfants, mais cette dernière nous empêche tout de même, selon moi, de penser correctement.
Nous sommes alors pris par l’émotion, l’on se met à « hurler » et nous entendons également certains dire « c’est l’ensauvagement, nous n’avons jamais eu une jeunesse aussi violente ».
Cependant, éloignons-nous un peu de l’émotion pour prendre du recul : cela aide souvent à mieux percevoir les choses.
Connaissez-vous les « Apaches » à Paris ? Il ne s’agit non pas des indiens, mais de jeunes voyous s’affrontant dans la capitale au début du 20ième siècle. L’on reprochait à ces derniers de commettre de terribles violences. A l’époque, tous les journaux mettaient en garde contre ces derniers : il fallait, selon eux, les punir très violemment parce que l’on avait jamais connu autant de violence chez les jeunes.
Les peines de prison n’étaient pas les mêmes à l’époque qu’aujourd’hui, nous avions même recours à la peine de mort : la répression n’a pourtant servi à rien. Les Apaches ont disparu uniquement suite à la suppression des faubourgs de Montmartre (ils s’y réunissaient à l’époque), ainsi qu’à la création d’écoles permettant leur éducation.
Il y a eu aussi les « blousons noirs » en 1950, décrits comme la recrudescence de jeunes extrêmement violents se battant à coups de couteaux. Nous avons alors construit de nouveaux habitats parce qu’ils vivaient dans les bidonvilles (le film « Max et les ferrailleurs » parle de ça) et les blousons noirs ont disparu.
Nous pouvons parler également des « loubards », pour lesquels ont été mis en place des plans pour leur intégration, mais je vais aller encore plus loin en citant « Roméo et Juliette » : il ne s’agit ni plus ni moins de l’histoire de deux bandes rivales se battant pour des motifs absolument futiles et finissant par les couteaux, dans la violence et le drame.
Par conséquent, lorsque l’on nous dit que cette violence chez la jeunesse est toute nouvelle, qu’elle n’a jamais été aussi agressive, l’histoire témoigne déjà du contraire.
Mais, les chiffres nous montrent également l’inverse : au-delà de l’émotion et de ce qui est crié à droite et à gauche, les violences – et particulièrement chez la jeunesse – est en baisse depuis plusieurs années. Aussi – et cela a été annoncé par le Ministre de la Justice il y a quelques semaines – ils montrent que le phénomène des bandes en Ile-de-France est également en baisse.
Ce qui est étonnant, est que nous entendons également qu’il y a peut-être moins de violence, mais que cette dernière se retrouve être « plus violente ».
Pourtant, le nombre de meurtres depuis 20 ans – car il s’agit des infractions les plus violentes – a été divisé par deux. Il est passé de 2000 meurtres à 1000 par an. Nous n’avons jamais traversé une période avec aussi peu de meurtres chaque année sur notre territoire, c’est d’ailleurs pour cela que l’on a ce sentiment-là : parce que nous n’avons jamais été autant en sécurité, l’on devient beaucoup plus sensible à la violence. Lorsqu’un fait nous arrive alors aux yeux et aux oreilles, nous le prenons évidemment très mal, dans l’émotion, et nous ne savons pas le gérer.
1000 meurtres par an correspondent à 3 par jour : si l’on recensait chaque jour tous les homicides sur les plateaux télé, c’est-à-dire 3 par jour donc, je vous dirais que la violence a explosé. Pourtant la réalité est bel et bien que le nombre de meurtres a baissé.
Je pense alors qu’il serait bon, face à ce phénomène et parce que nous avons eu 3 drames ces dernières semaines, de prendre un peu de recul, réfléchir, regarder les chiffres, et peut-être reprendre l’efficacité de la méthode que l’on a utilisée par le passé : détruire les ghettos, trouver des places pour ces jeunes, les intégrer, leur permettre d’accéder à un emploi, et se dire que la répression, l’émotion à tout va, ce n’est peut-être pas la solution…