Actualité juridique pénale
Comparutions immédiates : chroniques d’une violence ordinaire
En France, vous pouvez être arrêté le jeudi, jugé le vendredi en trente minutes, et emprisonné le soir même pour des mois, voire des années. Justice pressée du quotidien, la procédure de comparution immédiate s’abat souvent sur des populations déjà marginalisées.
La misère à la barre
Pierre* est Gabonais, arrivé en France en 2017. Sans papiers, sans domicile ni emploi fixe, il a été interpelé à Paris en possession de 30 doses de crack, soit un peu plus de 10 grammes. Comme la plupart des personnes jugées en comparution immédiate, son casier judiciaire porte déjà plusieurs condamnations pour des faits similaires. À peine vingt minutes aprs son arrivée dans la salle d’audience, la procureure requiert 10 mois d’emprisonnement. La défense tente alors de recontextualiser l’histoire, de la sortir du magma des affaires de la journée – il est presque 17 heures, le président doit être fatigué.
Elle décrit le parcours du prévenu, son départ du Gabon natal après une rupture familiale, le Maroc puis l’Espagne, les petits jobs dans la région parisienne, la rue enfin. “Une véritable spirale infernale”. Mais au moment de confirmer son adresse, Pierre hésite, il ne se souvient plus très bien. “Je suis chez un ami, c’est récent.” La cour paraît sceptique. “On vous a donc déclaré sans domicile fixe”, tranche le président. Finalement, il condamnera Pierre à 6 mois de prison, avec mandat de dépôt. Comprendre un aller direct pour la prison. “C’est l’idée, il faut les choper avant qu’ils ne s’évaporent dans la nature”, m’explique une pénaliste habituée de la chose.
Les personnes sans domicile fixe sont surreprésentées en comparution immédiate. « On retrouve ici l’une des fonctions que remplit cette procédure et que remplissait déjà son ancêtre, la procédure de flagrant délit, à savoir le contrôle des « sans aveu » ou « vagabonds », ces populations sans attaches dans une communauté instituée, considérées « errantes » et dès lors dangereuses pour le corps social« , analyse le sociologue du droit Thomas Léonard, qui décortique cette pratique judiciaire depuis près de quinze ans. Pourtant, la France a supprimé le délit de vagabondage depuis 1994. « Mais on voit bien des similitudes entre le vagabond d’hier et le public classique des comparutions immédiates d’aujourd’hui. Typiquement, un SDF, un étranger ou toute personne susceptible d’échapper au contrôle social« .
Pierre dormira en prison, et son avocate confiera à la sortie n’avoir eu qu’une quinzaine de minutes pour échanger avec son client. Elle ne le reverra sans doute jamais. Au suivant.
Date: 15 avril 2021
Titre: Le Média
Auteur: Clara Menais
Photo: Clara Menais/Le Média
Catégorie: Actualité juridique pénale