Les billets d’humeur de Maître Philippe-Henry Honegger
Cette proposition de Xavier Bertrand a été particulièrement commentée ces derniers jours : celle-ci concerne les infractions pour les peines encourues de moins de 5 ans et propose de se passer complètement des juges. En d’autres termes, que les condamnations puissent être directement prononcées par le procureur.
Le positif avec cette proposition, est qu’elle peut aboutir à des peines plus clémentes. Mais aussi, l’intérêt de ne plus recourir à un juge – du moins, il s’agit de l’argument principal avancé – est l’accélération des procédures. En effet, cela est une bonne chose pour nos tribunaux extrêmement engorgés.
Par ailleurs, il s’agit d’une tellement « bonne idée », que cette proposition de Xavier Bertrand existe déjà, sous le nom « d’ordonnance pénale ».
En effet, le procureur y mène la procédure, décide et valide la peine : il s’agit donc de la même chose, à l’exception près cependant que le dossier a l’obligation de passer devant un juge, s’assurant de la légalité de la décision prise par l’apposition de sa signature.
Pour quelles raisons un juge est-il nécessaire ?
Cela est peut-être une surprise pour Monsieur Bertrand, mais en France, les condamnations sont prononcées par les juges : en effet, il est primordial d’avoir recours à un magistrat indépendant, pouvant ainsi s’assurer que l’on ne condamne pas à tort. Or, les procureurs sont, par leur statut, dépendants du pouvoir exécutif et ils se trouvent être sous sa hiérarchie.
Des cas existent où seuls le procureur ou les policiers sous son autorité interviennent : pour exemple, les amendes de stationnement sont directement prononcées par le procureur. Cependant, si vous contestez, vous êtes alors convoqué devant un juge, devant le Tribunal de Police : cela signifie qu’il y a habituellement toujours un contrôle exercé par le juge.
Malheureusement, Xavier Bertrand souhaite exactement supprimer cela, avec le risque réel que des procureurs condamnent à la volée, sans se préoccuper de la vérité : pour assurer du chiffre par exemple, pour avoir un nombre conséquent d’amendes et d’argent entrant dans les caisses de l’Etat.
Tout cela fait largement écho au film « Judge Dredd », au sein duquel les juges sont à la fois policiers de terrain et procureurs, condamnant et exécutant par le même temps les condamnations.
De plus, une autre problématique doit être soulevée au travers de cette proposition, et celle-ci n’est évidemment pas abordée par Xavier Bertrand : probablement parce que ce problème est un peu plus subtile et vicieux.
En effet, il s’agirait des cas où il serait possible « grâce à ce projet de loi », de ne pas condamner à la prison. Effectivement, nous nous trouvons depuis quelque temps dans une logique extrêmement répressive : nous voulons condamner toujours plus. Pourtant, sur certaines affaires récentes, des personnes politiquement de droite se sont elles-mêmes plaintes de l’attribution de peines trop conséquentes, de l’attribution de peines de prison qu’elles ne trouvaient pas justifiées.
Voici alors un scénario – tout à fait fictif – qui pourrait être possible avec la proposition de Xavier Bertrand : imaginez un ancien Président de la République qui serait condamné pour une infraction quant à la dissimulation de ses comptes de campagne, et dont la peine encourue serait de moins de cinq ans (en l’occurrence un an). Celui-ci se présenterait donc devant un procureur, lui-même sous la hiérarchie du pouvoir politique : en l’occurrence Xavier Bertrand, si celui-ci est élu Président. La hiérarchie – c’est-à-dire le Président, le Garde des sceaux – déciderait alors de ne pas poursuivre cette personne. En effet, plutôt que de la renvoyer devant le tribunal afin d’obtenir la vérité sur cette affaire, il serait décidé de lui attribuer une petite amende de 100€, tout cela dans le parfait secret des cabinets des procureurs.
Avec cette situation-là, nous échappons totalement à l’idée de justice : effectivement, les juges ont le rôle de s’assurer que les procédures soient menées à bien et qu’elles ne soient pas politiques.
Par conséquent, il est évident que cette proposition de Xavier Bertrand – proposition dont on pourrait penser qu’il s’agit à priori d’une bonne idée – n’en est en réalité pas une : tout d’abord parce qu’elle existe déjà sous un nom différent, mais parce qu’en plus d’en changer légèrement la forme et les critères, Monsieur Bertrand intègre ainsi toute une catégorie d’infractions, dont le but semble alors bien moins louable que ce dernier souhaite le présenter.
Pour conclure, il s’agit une nouvelle fois d’une proposition dont nous devons nous méfier, parmi celles que j’essaye de vous décrypter chaque semaine : le but étant de mettre en lumière les tenants et les aboutissants de chaque projet, pour que chacun puisse se faire sa propre opinion au moment de l’élection présidentielle.