Les billets d’humeur de Maître Philippe-Henry Honegger
Je souhaiterais parler aujourd’hui d’un sujet qui aurait dû faire la une de l’actualité : il s’agit de l’arrêt de mort signé vendredi dernier contre le secret professionnel des avocats.
Pourtant, l’actualité a une nouvelle fois été prise en otage par le plus candidat des « non-candidats » à l’élection présidentielle : Monsieur Éric Zemmour.
En effet, tout le monde parle de cette séquence de rhétorique (par ailleurs assez malsaine) au cours de laquelle il parvient à imposer à une femme le retrait de son foulard. Cela m’intéresse assez peu de savoir si cette séquence a été truquée : l’important est malheureusement ce que cela raconte médiatiquement ainsi que sur l’état de notre société.
Je ne ferai donc aucun commentaire, et me contenterai simplement de rappeler l’Article 31 de la loi du 9 décembre 1905, c’est-à-dire la loi de séparation de l’Église et de l’État. En effet, l’Article 1 de cette même loi impose à l’Etat de protéger l’exercice des cultes de chacun et l’Article 31 prévoit alors que soient punies d’un an d’emprisonnement les personnes agissant dans le but de déterminer une personne à s’abstenir d’exercer son culte librement.
La loi a donc prévu cette situation que nous avons retrouvée avec Eric Zemmour : celle-ci n’a donc plus qu’à s’appliquer.
Par conséquent, plutôt que de nous focaliser sur les élucubrations racistes de Monsieur Zemmour, nous pouvons donc maintenant aborder le plus important de l’actualité cette semaine.
En effet, la réforme se décidant depuis vendredi dernier par l’État remettra en cause le fondement même de notre système judiciaire : cela me semble extrêmement plus grave que l’écume de l’actualité présidentielle.
L’idée initiale était de pouvoir lutter contre l’évasion fiscale, et notamment contre les personnes utilisant le secret des cabinets d’avocats pour réaliser des montages financiers illégaux : ces derniers se retrouvent impossibles à démontrer parce que les contrats, conservés par l’avocat, sont donc inaccessibles.
Cela est louable et est intéressant.
Cela peut paraître anecdotique, bien que la lutte contre l’évasion fiscale est importante.
Le droit pénal amène l’équilibre subtil entre la nécessité de répression, la nécessité de trouver les infractions, de poursuivre les auteurs des infractions, et aussi la nécessité de protéger la sécurité juridique d’autrui.
Le problème se posant depuis le début de ce quinquennat, est que le législateur n’a malheureusement pas œuvré dans la subtilité ni dans l’équilibre : par conséquent, plutôt que de lutter contre cette problématique d’évasion fiscale, un texte de loi a été rédigé, permettant alors pour toutes les infractions (et pas seulement la fraude fiscale) de réaliser des perquisitions chez les avocats, sur la simple suspicion – et donc sans preuve.
Cela signifie que des perquisitions pourront être engagées par le simple soupçon de la possession, par un avocat, d’éléments pouvant démontrer la culpabilité de son client : ce, sans qu’il n’ait pu le savoir ou sans même qu’il n’y ait concouru.
Cela signifie qu’il n’est pas nécessaire qu’il s’agisse d’un avocat dissimulant des contrats en rapport à une évasion fiscale dans les Bahamas : si vous avez fait des révélations à votre avocat, que ce dernier les a notées sur son bloc-notes alors que vous discutiez de votre défense, il sera donc possible, avec cette loi, de venir perquisitionner chez lui et de lui demander de les transmettre.
Cela signifie qu’une personne pensant pouvoir parler librement avec son avocat, pourra voir ce qu’elle lui confie être utilisé à son encontre.
Certains s’en réjouiront peut-être, avec l’idée dans l’air du temps qu’il est nécessaire de chercher toutes les preuves possibles, par tous les moyens, pour pouvoir condamner un maximum.
Une justice, sans secret de la défense, a déjà existé : au Moyen-Âge.
Effectivement, à cette époque les avocats étaient interdits. Depuis, nous avons réalisé qu’en l’absence d’avocat, de secret ou de défense efficace, la justice a tendance à condamner les innocents. Cela est extrêmement fâcheux lorsque nous le découvrons à posteriori.
L’aide des avocats et leur accès aux dossiers, permettent tous les jours à ce que les personnes mises en cause puissent se confier et livrer enfin leur vérité.
Cependant, pour que la justice puisse elle aussi avancer, il est nécessaire de pouvoir avoir une confiance et une transparence absolues en son avocat.
Malheureusement, avec la mise en place de cette nouvelle loi, vous ne le pourrez plus.
Me concernant, je travaille pour l’intérêt de mes clients : si l’on peut récupérer auprès de moi et malgré moi des informations pouvant aller à l’encontre de mes clients, je leur conseillerais alors de ne plus me dire la vérité sur ce qu’il s’est passé.
Je ne pourrais plus recueillir leurs éventuelles confessions, je ne pourrais plus les aider à accoucher d’une vérité que le système ne parvient pas par ailleurs à obtenir, je ne pourrais plus œuvrer à cette idée que je me fais de la justice.
Certes, les avocats peuvent parfois être la voix de celui qui ment, mais ils sont aussi souvent les passeurs d’une vérité presque inaudible.
En supprimant ainsi le secret professionnel, croyant obtenir plus facilement des preuves, cette loi risque en réalité de supprimer toutes possibilités de justice : c’est pour le moins regrettable.