Actualité juridique pénale
Délinquance : peut-on réellement parler d’ensauvagement d’une partie de la société ?
Alors que Gérald Darmanin a dénoncé, à plusieurs reprises l' »ensauvagement » d’une partie de la société, la majorité des indicateurs de la délinquance semble plutôt plaider pour un recul des faits de violence. Cependant, la complexité des statistiques laisse parfois une large place à l’interprétation.
Il y eut les « sauvageons » de Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Intérieur en 1999, terme également employé par son homologue Bernard Cazeneuve en 2016. Voici la version 2020 et son « ensauvagement » que Gérald Darmanin ‘attribue à « une minorité de la société ». Un processus serait donc à l’œuvre, livrant potentiellement les Français à des délinquants en puissance ? L’accumulation de faits divers faisant la Une, ainsi que les nombreux partages sur les réseaux sociaux pourraient le laisser croire. Pourtant, difficile de trancher clairement sur une hausse de la violence, tant les statistiques sont complexes, variées, et laissent place à une interprétation dont chacun appréciera la variabilité dans le débat politique.
Si la violence reste « à un niveau élevé, notamment un niveau qui est peut-être inacceptable pour une démocratie comme la France« , à en croire Christophe Soullez, chef de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), « on ne peut pas dire aujourd’hui, à travers les données disponibles, que l’on est dans une explosion de la violence. On a des phénomènes de violence qui sont très graves, mais la majorité aujourd’hui, et depuis une dizaine d’années, des faits de violence physique, ne sont pas nécessairement ceux que l’on voit diffusés sur les réseaux sociaux. »
« Il faut bien avoir à l’esprit que aucun de ces indicateurs n’est parfait »
Ces données sont collectées par différents biais : « Si vous regardez les statistiques de la police et de la gendarmerie qui mesurent la délinquance enregistrée par ces services, nous avons un certain nombre de faits de violences contre les personnes, une tendance à la hausse, détaille Antoine Jardin, chercheur au Cesdip. Si l’on regarde les enquêtes de victimation, qui sont les données que l’on produit lorsque l’on demande à la population si elle a été victime de tels ou tels faits, notamment d’agressions, nous ne voyons pas de tendance à la hausse. Selon les indicateurs que l’on choisit, nous n’allons pas avoir le même regard sur ces phénomènes. Il faut bien avoir à l’esprit que aucun de ces indicateurs n’est parfait« . L’une des raisons de cette différence réside dans le fait que tous les faits de violence ne font pas l’objet d’une plainte auprès d’un commissariat ou d’une gendarmerie. A contrario, certains faits qui, jusqu’à maintenant, n’étaient pas rapportés aux forces de l’ordre, le sont de plus en plus, entraînant mécaniquement une hausse des statistiques.
À cela s’ajoute la difficulté de savoir réellement ce qu’il y a derrière les chiffres : « Il faudrait savoir ce que l’on appelle ‘violences’, juge Christophe Soullez. Est-ce que ce sont les homicides, les coups et blessures volontaires ? Et surtout, savoir si une violence est grave ou, au contraire, a peu de conséquences« . La question de savoir si la violence augmente en France « mérite des développements qui sont beaucoup plus complexes que de répondre par oui ou par non« , ajoute le chef de l’ONDRP.
Date: 28 Août 2020
Titre: France Inter
Auteur: Ariane Griessel
Photo: Radio France / Valéria Emanuele
Catégorie: Actualité juridique pénale