Actualité juridique pénale
En prison, à chaque parloir son règlement
Quand ils rendent visite à un détenu au parloir, leurs proches sont soumis à une myriade de règles et d’interdits. Parfois justifiés, souvent absurdes, voire illégaux, ils sont presque toujours ressentis comme arbitraires tant ils varient d’un établissement à l’autre, d’une personne à l’autre, voire d’un jour à l’autre.
« J’irai t’apporter des oranges », dit le dicton populaire. En réalité, rien n’est moins vrai : sauf à vivre en Polynésie ou en Guadeloupe, les oranges, interdites, devront rester à la porte de la prison. Linge, vêtements, nourriture, souvenirs… Que peuvent apporter les visiteurs à leur proche incarcéré pour lui permettre de vivre en prison, de « tenir » le temps d’une détention parfois longue, d’agrémenter le quotidien ? Aussi essentielle que soit cette question, elle n’a pas été abordée par le législateur lors de l’élaboration de la loi pénitentiaire de 2009. Le soin de poser un cadre a été renvoyé au pouvoir exécutif, qui ne s’est pas encombré des libertés fondamentales : « La réception d’objets de l’extérieur et l’envoi d’objets vers l’extérieur sont interdits », énonce le décret relatif au règlement intérieur type des établissements pénitentiaires. Avant de préciser : « Toutefois, une liste des objets ou catégories d’objets dont la réception ou l’envoi est autorisé est fixée par arrêté du garde des Sceaux, ministre de la Justice ». Hors publications écrites et audiovisuelles, qui font l’objet d’une réglementation distincte. Le principe est donc posé : l’autorisation est l’exception et non la règle… créant un fort sentiment d’injustice chez les familles. « Les commentaires sont nombreux à pointer des interdits qui paraissent peu justifiés et qui sont souvent peu compris, note une récente enquête de l’Uframa. Les “restrictions non logiques” sont ici au cœur des doléances. »
C’est ainsi un arrêté de 2011 qui fixe la liste des objets autorisés. Certaines catégories sont soumises à des interdits drastiques. C’est le cas notamment des denrées alimentaires, hors colis de Noël, réglementé chaque année par une note spécifique du directeur de l’administration pénitentiaire. Idem pour les bijoux autres qu’alliances et montres : exit donc les babioles, même si elles ne présentent aucun danger. D’autres font l’objet de restrictions draconiennes. Ainsi, si les dessins d’enfants sont autorisés – mais limités aux mineurs sur lesquels le détenu exerce son autorité parentale – les créations artistiques « dépassant 15 cm dans leur plus grande longueur » doivent rester à la porte du parloir. Aussi, à Béziers, « les cadeaux pour la fête des pères (comme les bracelets de pâtes) sont refusés », témoigne une mère. En définitive, ce sont les chefs d’établissements qui définissent les modalités d’application de l’arrêté de 2011 : certains le font avec zèle, d’autres avec plus de souplesse.
Au nom de la sécurité
En fonction de considérations relatives au maintien de la sécurité et du bon ordre, les directeurs fixent donc, par notes de service, ce qui est autorisé ou non dans leur établissement. En ce qui concerne le linge, l’arrêté de 2011 précise que sont interdits les vêtements, chaussures, linge de toilette ou linge de table « dont les inscriptions sont, par leur nature provocante ou outrancière, de nature à porter atteinte au bon ordre ou à la sécurité de l’administration pénitentiaire », les « vêtements pouvant provoquer une confusion avec l’uniforme pénitentiaire », les imprimés « camouflage », les cagoules, capuches, mais aussi les cuirs doublés ou les chaussures « munies d’une structure métallique (tige, boucle, etc.) ». Mais certains directeurs vont bien plus loin. D’après des témoignages recueillis auprès de compagnes de détenus, les vêtements fluo seraient interdits à Nîmes. À Nanterre, c’est un gilet sans manche qui est refusé, ou encore « des chaussures d’hiver entièrement molles et sans métal », « parce qu’elles ressemblent aux chaussures de protection », s’indigne une mère. À Osny, ce sont les vêtements « floqués d’une effigie des départements d’Île-de-France » ainsi que les « peignoirs qui ne sont pas en coton de bain », précise une note affichée à l’accueil famille.
Date: 4 février 2019
Titre: blogs.mediapart.fr
Auteurs: Sarah Bosquet et Cécile Marcel
Photo: © Grégoire Korganow/CGLPL
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