Actualité juridique pénale
Fêtes clandestines : 60 dans un appartement, ce n’est pas illégal
Le renforcement des contrôles pendant la crise sanitaire contre les « fêtes clandestines », annoncé par le gouvernement, se fait en dehors de tout cadre légal spécifique. « On ne peut pas sanctionner le fait d’être à 30 dans un appartement », rappellent les juristes, sauf pour tapage nocturne ou non-respect du couvre-feu, s’il est bien constaté. La mise en danger de la vie d’autrui « ne tient pas » non plus sur le plan du droit.
Sanctuarisation du domicile
Sur le plan sanitaire, tout le monde s’accordera à dire que se rassembler, sans masque et dans un lieu clos, est la situation parfaite pour transmettre le covid-19. C’est donc à éviter. Mais sur le plan du droit, ces contrôles sont-ils fondés ? Dans beaucoup de cas, la réponse est non. En réalité, rien n’interdit de se rassembler chez soi, à plus de six personnes.
« Il y a des recommandations de ne pas être plus de six, mais pas d’interdiction », souligne Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l’université de Lille, « on ne peut pas sanctionner le fait d’être à 30 dans un appartement ». « Il n’y a pas de limite de personne. On peut être 60 dans un appartement de 20 m2. C’est déconseillé pour plein de raisons, mais ce n’est pas illégal » confirme Evan Raschel, professeur de droit pénal à l’université de Clermont-Auvergne. Il rappelle qu’« il y a une sanctuarisation du domicile, de 21 heures à 6 heures du matin, sauf dans certains cas très particuliers, type terrorisme ».
Conséquence : les policiers n’ont tout simplement pas le droit de venir chez vous, comme bon leur semble. « Une des libertés fondamentales, c’est le respect de la vie privée qui est garanti par la Constitution et l’article 9 du Code civil. C’est l’une des bases de l’Etat de droit, sinon n’importe quel policier rentrerait chez vous. On ne serait plus du tout en Etat de droit », indique Maître Avner Doukhan, avocat au barreau de Paris. Autrement dit, « pour les fêtes, il n’y a absolument aucun cadre. Elles ne sont pas concernées par l’Etat d’urgence sanitaire. Ce n’est absolument pas légal pour un policier de venir contrôler, verbaliser ou interpeller des personnes qui font une fête chez eux en soirée. Les personnes ont absolument le droit d’être ensemble. Le couvre-feu n’interdit pas d’aller dormir chez une autre personne », recadre Evan Raschel. En revanche, précise le professeur de droit, les policiers peuvent agir sur le fondement du droit commun, en cas de « tapage nocturne ou d’usage de stupéfiant ». La fête devra donc être calme et évidemment sans drogue illégale.
« On ne peut pas créer de règle interdisant les Français de recevoir chez eux »
L’état d’urgence sanitaire en vigueur définit ce qui n’est pas autorisé. Et ce qui n’est pas interdit, est autorisé. « Dans les lieux publics et les établissements recevant du public, comme les cafés, les restaurant ou les églises, il y a des restrictions apportées à la liberté de réunion, de manifestation, ou de commerce. Si on fait rentrer en ce moment dans un restaurant des gens, on commet une infraction, car on ne peut pas dire qu’on a privatisé un lieu recevant du public », souligne le sénateur LR Philippe Bas, qui était rapporteur du projet de loi sur l’état d’urgence au Sénat.
« Mais dans un appartement ou une maison, c’est le principe contraire : les pouvoirs publics ne peuvent pas reprocher à une famille d’être composée de 12 personnes ou ce qui se passe à l’intérieur du domicile », ajoute l’ancien président de la commission des lois du Sénat, mis à part « les cas définis par le Code de procédure pénale. Si on recherche un malfaiteur, on peut intervenir avec une perquisition. Mais sinon, on ne peut pas créer de règle interdisant les Français de recevoir chez eux. On peut leur faire de recommandations. C’est ce qu’a fait le premier ministre ».
« On peut refuser l’entrée aux policiers »
Conséquence de cette situation : « On peut refuser l’entrée aux policiers. Et s’ils rentrent quand même, c’est une violation de domicile et c’est une infraction pénale, aggravée par leur statut de force de l’ordre », explique Evan Raschel.
Les forces de l’ordre arrivent pourtant parfois à rentrer. Comment ? « Il y a du bluff en quelque sorte, car les personnes ne savent pas. Quand les policiers tambourinent pour rentrer, c’est impressionnant. Ils profitent de la méconnaissance de la réglementation pour venir ». A partir du moment où on les laisse rentrer, le cadre légal est respecté. Même « bluff » sur les verbalisations pour non-respect du couvre-feu, alors que la personne est déjà à l’intérieur d’un domicile. « Ils verbalisent à tout va en sachant très bien que les verbalisés n’auront pas le courage de contester ou ne savent pas », ajoute le professeur de l’université de Clermont-Auvergne.
Date: 8 janvier 2021
Titre: Public Sénat
Auteur: —–
Photo: Lewis Joly/AP/SIPA
Catégorie: Actualité juridique pénale