Actualité juridique pénale
Haine en ligne : cinq questions sur la censure de la loi Avia par le Conseil constitutionnel
Jugeant certaines dispositions attentatoires à la liberté d’expression, les Sages ont retoqué jeudi le cœur de ce texte porté par la députée LREM Lætitia Avia.
C’est un camouflet pour la majorité. Le Conseil constitutionnel a censuré, jeudi 18 juin, le cœur de la loi Avia contre la haine en ligne. Dans leur décision, les Sages ont jugé que certaines dispositions du texte porté par la députée LREM Lætitia Avia étaient attentatoires à la liberté d’expression. Une « grande victoire » pour les associations du Net et une « lourde défaite » de l’exécutif, selon les oppositions. Que prévoyait exactement cette proposition de loi ? Quels sont les arguments du Conseil constitutionnel ? Que va devenir le texte ? Eléments de réponse.
Que prévoyait la loi Avia ?
Dans le droit fil de l’engagement d’Emmanuel Macron depuis 2018 à renforcer la lutte contre la haine raciste et antisémite qui prospère sur internet, la mesure phare du texte prévoyait pour les plateformes et moteurs de recherche l’obligation de retirer sous 24 heures les contenus « manifestement » illicites, sous peine d’être condamnés à des amendes allant jusqu’à 1,25 million d’euros. Etaient visées les incitations à la haine, la violence, les injures à caractère raciste ou encore religieux. Pour ce qui est des contenus pédopornographiques ou terroristes signalés par les autorités, ces mêmes réseaux sociaux avaient une heure pour les supprimer.
Il n’y a « en aucun cas un retrait de l’autorité judiciaire », avait assuré la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, rappelant le nouveau « délit de non-retrait » pour plateformes et moteurs, ainsi que « la création d’un parquet spécialisé ».
Autre mesure clé : la mise en place d’un « bouton » commun à toutes les plateformes. « Il y aura un bouton obligatoire, très facile à voir, qui permettra de signaler tout contenu que vous jugez haineux », avait expliqué à franceinfo Cédric O, secrétaire d’Etat chargé du Numérique. Au-delà, le texte prévoyait une série de nouvelles contraintes pour les plateformes : transparence sur les moyens et résultats obtenus, coopération renforcée notamment avec la justice, surcroît d’attention aux mineurs. Le tout devait être contrôlé par le Conseil supérieur de l’audiovisuel.
Pourquoi ce texte était-il critiqué ?
La proposition de loi de Lætitia Avia a connu un parcours chaotique entamé en avril 2019, jusqu’à son adoption par le Parlement le 13 mai. Elle a suscité de nombreuses réserves, notamment du Conseil national du numérique, de la Commission nationale consultative des droits de l’homme ou encore de la Quadrature du Net, une association qui défend les libertés individuelles dans le monde du numérique. Les grandes entreprises du secteur étaient pour leur part inquiètes de l’obligation de retrait des contenus, car elle les obligeait à prendre des décisions très rapidement, au risque d’une cascade de polémiques et conflits juridiques.
Inquiets pour la liberté d’expression, les parlementaires de droite, de Libertés et territoires, de LFI et du RN s’y sont également opposés. Fustigeant un texte confiant aux Gafa (Google, Amazon, Facebook et Apple) « le soin de réguler une liberté publique », le chef de file des sénateurs LR, Bruno Retailleau, avait annoncé une saisine du Conseil constitutionnel.
Le jour de l’adoption, les Insoumis ont défendu une motion de rejet, demandant, par la voix d’Alexis Corbière, quelle était « l’urgence à mettre en place une loi liberticide ». Marine Le Pen y voyait pour sa part « une véritable épouvante ». « Vous sous-traitez la censure au privé » et le « rôle du juge » disparaît, avait accusé la présidente du RN.
Ce vote définitif est également intervenu dans un contexte trouble pour Lætitia Avia, elle-même mise en cause par Mediapart pour des « humiliations à répétition » et des « propos à connotation sexiste, homophobe et raciste » à l’encontre de cinq ex-collaborateurs parlementaires. L’élue de Paris, qui dénonce des « allégations mensongères », a déposé plainte pour diffamation.
Date: 19 juin 2020
Titre: France Info
Auteur: —–
Photo: Steve Driscoll / Unsplash
Catégorie: Actualité juridique pénale