Actualité juridique pénale
Le bilan calamiteux des cours criminelles départementales
Analyse critique du dernier rapport d’évaluation, par Benjamin Fiorini, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’Université Paris 8.
Très attendu, le comité d’évaluation et de suivi de la cour criminelle départementale (CCD) a rendu son verdict. Or l’étude approfondie de son rapport – sans s’en tenir à la surface des choses – se révèle extrêmement défavorable pour ces nouvelles juridictions : gain de temps réduit et en trompe-l’œil ; plus-value financière non démontrée ; absence d’impact en termes de dé-correctionnalisation… Aucune des promesses faites par les promoteurs des CCD n’est véritablement tenue. Dans ces conditions, empêcher leur généralisation au 1er janvier 2023 devient plus urgent que jamais.
Jusqu’alors, l’expérimentation des cours criminelles départementales (CCD) – ces juridictions exclusivement composées de cinq magistrats professionnels (sans juré, donc) expérimentés sur le fondement de la loi n° 2019-222, du 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice N° Lexbase : L6740LPC dans une quinzaine de départements pour juger à la place des cours d’assises les crimes punis de quinze et vingt ans de réclusion criminelle (viols, vols à main armée, coups mortels, tortures, actes de barbarie, etc.) – avait donné lieu à deux rapports d’étape [1] particulièrement mitigés quant à leur véritable utilité [2]. Ce dernier rapport, daté d’octobre 2022, devait donc faire office de juge de paix.
Première remarque : le juge de paix s’est fait attendre, puisque ce rapport, dont la loi prévoyait qu’il devait être remis au plus tard le 31 octobre 2022, aura attendu le 21 novembre 2022 pour être publié. Seconde remarque : en lisant ledit rapport, on comprend aisément pourquoi sa remise a été à ce point différée, celui-ci s’avérant désastreux pour les CCD pour quiconque sait recouper des données, lire entre les lignes, et constater que le comité d’évaluation s’est trouvé dans l’incapacité de répondre à la plupart des questions qui lui étaient posées, faute de disposer de suffisamment d’informations.
Cette situation aussi cocasse que tragique, où la généralisation des CCD, qui doit intervenir dans un peu plus d’un mois, a été décidée avant d’attendre le dernier retour d’expérience qui se révèle catastrophique, invitera sans doute nos décideurs à méditer, à l’avenir, ce sage conseil : il est préférable de réfléchir avant de choisir, plutôt que l’inverse. En attendant, la situation se présente ainsi : soit renoncer immédiatement aux CCD – ou, tout du moins, à leur généralisation –, soit poursuivre dans le déni au détriment de la qualité de la justice, des conditions de travail dans les juridictions et de la démocratie participative qui forge la citoyenneté.
Disons-le tout de suite : les conclusions du comité, quoique très critiques à l’égard des CCD, auraient pu être exprimées de manière plus radicale, l’analyse objective des données contenues dans le rapport plaidant a minima pour une prolongation prudente de l’expérimentation, dont l’effet globalement positif n’est absolument pas démontré. Cependant, la lecture du rapport laisse transparaître une rédaction à plusieurs mains marquée par des désaccords au sein du comité, au point que ses conclusions apparaissent souvent antagonistes. Entre autres exemples, on mentionnera notamment la contradiction manifeste entre une préconisation consistant à faire de l’accroissement des moyens matériels et humains un préalable « indispensable » [3] à la généralisation des CCD – manière polie de faire entendre que leur généralisation au 1er janvier 2023 est prématurée et devrait être suspendue –, et celle favorable à l’extension du champ de compétence des CCD aux majeurs récidivistes [4] et aux accusés mineurs [5] (à titre expérimental pour ces derniers). Comment peut-on préconiser l’extension d’un dispositif, tout en indiquant qu’il n’y a pas assez de moyens matériels et humains pour le mettre en œuvre tel qu’il existe déjà ?
Par-delà ces contradictions manifestes, trois conclusions essentielles doivent être tirées de la lecture du rapport. Premièrement, le gain de temps dans le traitement des affaires que permettraient les CCD par rapport aux cours d’assises est limité et incertain (I.). Deuxièmement, en croisant les différentes données figurant dans le rapport et en tenant compte de celles qui n’ont pu être réunies par le comité, l’avantage financier attendu des CCD par rapport aux cours d’assises n’est absolument pas démontré (II.). Troisièmement, les CCD n’ont pas eu pour effet de réduire le phénomène de correctionnalisation, fût-ce de manière légère (III). Sans même évoquer la dimension démocratique de la question (dont le comité n’était pas saisi), il s’ensuit que les trois promesses majeures faites par les promoteurs des CCD – gagner du temps, faire des économies, et lutter contre la correctionnalisation – n’ont pas été tenues. Il appartiendra aux responsables d’en tirer les conséquences.
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Date: 25 novembre 2022
Titre: lexbase.fr
Auteur: Benjamin Fiorini
Photo: Pixabay
Catégorie: Actualités juridique pénale