Actualité juridique pénale
Nanterre : L’émouvante dernière plaidoirie de Me Henri Leclerc
Samedi 21 novembre, Palais de justice de Nanterre. La Cour d’assises s’apprête à entendre le réquisitoire et les plaidoiries dans le procès de Julien C. accusé d’avoir voulu immoler sa petite amie. L’instant est grave : l’accusé risque une très lourde peine. Mais pour le monde judiciaire, le moment est aussi historique : c’est la dernière affaire criminelle que plaide Henri Leclerc, 86 ans, avant de raccrocher la robe.
« Il avait chosifié Stéphanie* ; elle voulait respirer ». C’est ainsi que l’avocat général de la cour d’assises des Hauts-de-Seine résume la relation entre Julien C*. et Stéphanie. A* avant l’accident de la route qui s’est déroulé en novembre 2007. Monsieur C. est accusé d’avoir volontairement projeté la voiture contre un arbre, puis d’avoir versé de l’alcool à brûler sur sa petite-amie, et de l’avoir enflammée. Elle a survécu à ses blessures. On arrive au terme des deux semaines de procès.
« Il avait besoin de Stéphanie et elle était ailleurs »
L’accusation se fonde essentiellement sur le mobile : la possession, la jalousie. L’avocat général s’attache à livrer une analyse complexe de ce mécanisme dans cette histoire particulière. A partir des témoignages des proches, il suggère d’abord le portrait d’un homme suicidaire, ou du moins qui recourt au chantage au suicide. Il voit sa compagne prendre ses distances, et plus elle s’éloigne, plus il tente de la contrôler, en la faisant par exemple surveiller par une collègue.
Pour l’accusation, deux éléments déclenchent le passage à l’acte : Monsieur C. doit subir un examen médical « majeur », il craint un diagnostic défavorable. Et Monsieur C. apprend que sa compagne a un flirt. « Ainsi, il avait besoin de Stéphanie, et elle était ailleurs ».
Elle a même l’intention de passer la nuit avec l’autre garçon. Monsieur C. en reçoit la confirmation par un appel de la collègue espionne à 20 h 22. L’avocat général en est persuadé : « C’est cet l’appel qui provoque la crise ». Monsieur C. achète la bouteille d’alcool à brûler, passe récupérer Stéphanie à son travail, tente de la dissuader de se rendre à sa soirée, mais elle persévère.
« Le feu ne peut pas être accidentel »
Parmi les éléments de la préméditation, il y a l’itinéraire choisi pour conduire Stéphanie à son rendez-vous, plus long que nécessaire. Il y a le déroulé de l’accident. Le magistrat cite la déposition de la victime : « On roulait à faible vitesse. Il est resté statique jusqu’à l’arbre. Je voulais sortir, je lui ai dit : fais quelque chose. Il m’a dit que ça ne servirait à rien, que les portières ne s’ouvriraient pas. »
L’avocat général balaie les expertises qui ne sont pas concordantes. « Le seul moyen de savoir si c’est volontaire ou pas, c’est dans l’âme de Julien C. qu’il faut le chercher, pas dans un débat d’experts. Et c’est l’incendie qui fait que ce sera une tentative d’assassinat ou pas. »
Sur l’incendie, il reprend les versions successives de l’accusé pour montrer qu’elles sont toutes incompatibles avec les constatations. Il insiste sur le fait que la victime est brûlée à l’arrière du genou. « L’alcool est projeté quand elle est debout. » dit-il, avant de conclure : « tout ce que je vous demande de retenir c’est que le feu ne peut pas être accidentel. »
Vient ensuite la séquence des secours. Le magistrat énumère les allers-retours de l’accusé, qui aurait cherché une bouteille d’eau, puis une couverture, puis l’extincteur… « Elle était seule en flammes. Cette brûlure a duré longtemps, elle a été brûlée au 4e degré, c’est carbonisé. » Quand au blouson « il a été mis sur la tête de Stéphanie au moment où il n’y avait plus de flammes ».
Enfin il y a l’hôpital, quand Julien dit à Stéphanie : « De toute manière, telle que tu es, personne ne voudra de toi ». La phrase appelle d’ailleurs une interrogation qui n’est posée ni par l’accusation, ni par la défense : et si l’accusé avait voulu la défigurer ?
Pour l’avocat général, il n’est plus temps d’hésiter, « c’est un féminicide. Même s’il a échoué, elle est restée sa chose ». Il demande de retenir la tentative d’homicide volontaire et la préméditation, il demande pour Monsieur C. 20 ans de réclusion criminelle.
Vient le moment ultime, celui de la défense. Deux plaidoiries, deux styles : celle de Norma Jullien Cravotta, limpide, méthodique, imparable, et celle de Henri Leclerc, passionnée, personnelle, mélancolique.
Date: 1 Décembre 2020
Titre: Actu Juridique
Auteur: Pierre Anquetin
Photo: Pierre Anquetin
Catégorie: Actualité juridique pénale