Cette affaire conduit à nous interroger sur la responsabilité de ceux qui ont cédé à l’opinion, avant même qu’un juge ne se prononce, estime Me Honegger. Propos recueillis par Laurence Neuer
Éric Brion, désigné comme le « premier porc » du mouvement international « Balance ton porc », a, le 25 septembre, remporté une victoire judiciaire. Le TGI de Paris a condamné son accusatrice publique, Sandra Muller, pour diffamation*. Celle-ci devra lui verser 15 000 euros de dommages et intérêts, supprimer le tweet et faire publier la condamnation sur le compte Twitter de la lettre Audio (dont elle est directrice de la publication) ainsi que dans deux journaux.
Pour l’avocat Philippe-Henry Honegger, « cette décision met au grand jour les défaillances d’une justice à bout de souffle ». Interview.
Le Point : Que peut-on lire à travers les lignes du jugement qui condamne Sandra Muller pour diffamation envers Éric Brion, estimant que le délit de harcèlement n’est pas constitué ?
Philippe-Henry Honegger : Dans cette décision, rendue par un juge civil, le tribunal rappelle une chose fondamentale : si l’on accuse publiquement, a fortiori sur les médias sociaux, une personne présumée innocente d’une infraction qu’elle n’a pas commise ou que l’on ne peut prouver, on s’expose soi-même à être condamné pour diffamation. En cela, le tribunal ne fait que rappeler un principe qui existe depuis la loi sur la presse de 1881. Cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas dénoncer des faits dont on s’estime victime, cela veut simplement dire que, si on veut les dénoncer, on doit le faire par la voie d’une plainte adressée aux autorités judiciaires (et non sur Twitter).
En revanche, ce qu’il ne faut surtout pas lire dans ce jugement, c’est une critique du mouvement #MeToo ou #BalanceTonPorc. Il n’est pas question de restreindre la parole des femmes victimes de violences. C’est un combat essentiel sur lequel les politiques pénales doivent continuer à évoluer pour que les victimes se sentent entendues et accompagnées judiciairement.
Quelle victoire ou quelle défaite signe, selon vous, cette affaire ? Celle de la justice sur la morale ? Celle du tribunal judiciaire sur le tribunal médiatique ?
C’est incontestablement la victoire du droit sur la morale et les médias ! Mais, derrière elle, cette affaire est le symptôme d’une horrible défaite de notre système judiciaire face à l’opinion publique. En effet, si certaines personnes ont plus facilement recours au tribunal de l’opinion publique plutôt qu’aux juges dont c’est la fonction, c’est sûrement parce qu’elles considèrent (à tort ou à raison) que le système judiciaire est incapable de protéger les « victimes » et de faire condamner les auteurs. D’où le recours à des dénonciations dans les médias sociaux qui rendent un verdict instantané et sans appel.
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- Date: 9 octobre 2019
- Titre: Le Point
- Auteur: Laurence Neuer
- Photo: Misha Surfu / Pixabay
- Catégorie: Articles de presse