La fille de Fatouma K., mère de famille qui a perdu un œil à la suite d’un tir de grenade de désencerclement en 2013, s’est exprimée vendredi. Trois policiers et ses deux frères sont jugés à Bobigny depuis le 26 juin par la cour d’assises de la Seine-Saint-Denis.
Un avocat pénaliste parlant à une victime africaine
Bobigny, ce mardi 26 juin. Fatouma K. avec son avocat Me Philippe Henry Honegger. Cette femme de 59 ans, mère de huit enfants, a perdu l’usage de son oeil gauche lors d’une intervention de police le 25 juin 2013 à Villemomble.
« C’était le chaos, la scène a surpris tout le monde ». Devant la cour d’assises de la Seine-Saint-Denis, vendredi, Khadidja, l’aînée des huit enfants de la famille K., essaye de ne pas craquer pour décrire ce que vivent les siens depuis cette intervention de police qui a dégénéré au pied de leur cité, le 25 juin 2013, à Villemomble.
Sa mère, Fatouma, a perdu l’usage de son œil gauche, mutilation imputée à un tir de grenade de désencerclement. Ses deux frères, Makan et Mohamed, 25 et 26 ans, ont été arrêtés pour violences, rébellion et dégradations. Mohamed a aussi été blessé, d’un coup de bonbonne lacrymogène sur la tête et à l’oreille par un tir de LBD, un dérivé du flash-ball. Ils sont jugés, aux côtés de trois policiers, depuis le 26 juin à Bobigny.
« On se demande qui sont les accusés et qui sont les victimes », questionne Khadidja, sans animosité dans la voix. « On n’est pas en procès contre l’autorité mais contre trois personnes qui ont commis des erreurs. Cela fait cinq ans qu’on vit dans notre coin, avec des séquelles irréparables », dit-elle au sujet de cette soirée qui « a bouleversé [la] vie » d’une famille déjà orpheline de père.
Chute de résultats scolaires, dépression, suivi psychologique… Khadidja a fait le choix de l’intérim pour rester auprès de sa mère, depuis malade d’un cancer et qui aurait dû être hospitalisée au moment du procès.
Mais cette femme de 59 ans à la démarche difficile assiste au procès depuis son ouverture. « J’ai rien fait à la police et maintenant je vais travailler comment ? », a-t-elle demandé en témoignant quelques minutes, assise dans un fauteuil apporté par l’huissier. Elle a tenu à préciser : « Makan ne se bagarre pas ».
Car l’arrestation de ce fils, 5e de la fratrie, est un point important dans l’enquête. La police cherchait des auteurs de rodéos, en avait interpellé un qui avait réussi à s’enfuir après l’intervention violente d’assaillants, dont Makan aurait fait partie selon les policiers.
« On a vécu un moment d’horreur, je me suis dit qu’on n’allait pas rentrer chez nous », dit Ludovic R., 32 ans, de la BAC de Bondy. Il a activé son signal de détresse pour la deuxième fois de sa carrière ce jour-là. « J’ai dit du monde, du monde, on va crever », poursuit-il.
Deux policiers contre une trentaine d’assaillants. Il raconte que son flash-ball est tombé et que son collègue, Florian C., au sol, a pris ce violent coup de pied à la tête « par un très grand ». Ludovic R. a sorti son arme de service. « Je tremble, je m’apprête à faire feu, et ils s’en vont dans tous les sens. » Il aide son collègue à se relever et désignera plus tard Makan comme l’agresseur.
Courant ? Marchant ? Des extraits de vidéo sont rediffusés, puisqu’une partie de l’intervention a été filmée par des voisins. « On a entendu un certain nombre de contradictions à l’audience, insiste le président. Vous n’avez pas forcément les mêmes versions, ce ne sont pas forcément des mensonges, peut-être le stress du moment… Jamais condamné, plutôt inséré dans un profil éducatif, Makan n’a pas le profil type. Est-ce qu’il n’y a pas eu de méprise à un moment donné ? »
Mais le policier persiste. « Il est courant que des auteurs adoptent une autre posture [en arrêtant de courir, NDLR]. Et pourquoi n’a-t-il pas essayé de calmer la situation au lieu de partir ? C’est parce qu’il a frappé mon collègue. »
Et si le policier avait perdu de vue à un moment l’agresseur qui s’enfuyait ? « Vos collègues se sont trompés en interpellant Makan », intervient Me Honegger. L’avocat de Makan rappelle le témoignage d’une femme qui assurait que celui-ci n’était pas dans le groupe et venait en marchant. « Soit c’est elle qui ment volontairement, soit c’est vous qui vous trompez. Et ce qu’elle dit est compatible avec la vidéo. »
Les frères et deux autres fonctionnaires seront entendus ce lundi.
Source : www.leparisien.fr
- Date: 1 juillet 2018
- Titre: Le Parisien
- Auteur: Carole Sterlé
- Catégorie: Articles de presse