Les billets d’humeur de Maître Philippe-Henry Honegger
Ce jeu qui rassemble ses participants autour d’une écriture collective, chacun écrivant à tour de rôle un mot sur un papier, avant de le dissimuler de la vue du suivant. Lorsque le jeu prend fin, le papier est déplié pour découvrir alors une phrase surréaliste.
Il est vrai qu’il y a quelque chose de surréaliste quand on évoque un collectionneur d’art spécialiste de Napoléon en garde à vue suite à l’organisation, pour le « premier avril », d’un dîner avec des Ministres.
Pourtant, cette situation est bien réelle et le Parquet, au milieu d’une actualité qui ne manque pas de sujets, a décidé de recourir à une procédure pénale des plus contraignantes pour placer en garde à vue des individus pour l’infraction de « mise en danger de la vie d’autrui ».
Infraction qu’a d’ailleurs décidé d’utiliser depuis plusieurs mois le Parquet à l’encontre des personnes organisant des événements chez elles, dans le cadre exclusivement privé (fêtes, Réveillon, dîners…).
La Chancellerie appelait pourtant déjà, dans une circulaire du mois de mai 2020, à une certaine vigilance quant au recours systématique, abusif mais surtout inapproprié à cette infraction.
Et pour cause : la « mise en danger d’autrui », définie à l’article 223 – 1 du code pénal, rend condamnable l’exposition directe d’autrui à un risque immédiat de mort ou de blessure, ce par la violation manifeste et délibérée d’une obligation fixée par la loi.
Un exemple concret d’application serait celui d’un skieur déclenchant une avalanche par le non-respect du domaine skiable, entraînant elle-même la mort d’autrui : le hors-piste étant interdit.
En revanche, il en est autrement pour le Covid. Une loi a effectivement été violée dans le cadre de l’organisation de ce repas, une potentielle mise en danger des personnes présentes existe également dans une certaine mesure. Cependant, le danger n’est pas immédiat et sa potentialité mortelle n’est pas systématique.
De plus, il faut souligner que cet « autrui » supposément mis en danger ne doit pas être responsable lui-même de sa propre mise en danger.
La Chancellerie l’avait parfaitement relevé : un individu ne peut être simultanément co-auteur et victime de l’infraction. Se mettre en danger en mettant en danger les autres.
Cette procédure finira très certainement en non-lieu.
Ce qui est certain c’est que nous avons assisté une nouvelle fois à une instrumentalisation du système judiciaire, ce dans une démarche strictement politique.
Il en est d’autant plus inquiétant que cette démarche aboutisse à l’application d’une contrainte importante sur la liberté d’autrui, engendrée par une mise en garde à vue avec les conséquences personnelles qu’on connait.
Tout cela en raison de la commission d’une infraction certes, mais en réalité d’une contravention punie de 135 euros d’amende. Si on faisait un tel battage pour tous les excès de vitesse sur la route et autres stationnements gênants, je ne suis pas certain que les contribuables estimeraient que soit utilisé efficacement l’argent public destiné à une justice pourtant déjà exsangue.
Nous vivons une crise sanitaire sans précédent, certes. Chacun d’entre nous doit prendre ses responsabilités, certes. Mais il convient aussi peut-être de ne pas céder à une panique judiciaire et de concentrer nos efforts là où ils seront vraiment efficaces.