Rocambolesque bataille juridique à Nevers, autour d’un dealer présumé que le parquet n’arrive pas à emprisonner.
Il fallait connaître le Code de procédure pénale sur le bout des doigts pour comprendre ce qui s’est passé, mardi 26 mars, au palais de justice de Nevers. Défendu par une star du barreau (et des milieux du rap parisien), Marc Scatigno, 26 ans, est arrivé libre, alors qu’il est recherché depuis des mois. Et il est reparti tout aussi libre, au terme d’un après-midi théâtral.
Présenté par les enquêteurs comme le fournisseur d’un réseau de stupéfiants à Clamecy et dans ses environs, le banlieusard parisien n’a répondu à aucune convocation judiciaire durant les investigations et n’a jamais pu être localisé. Il est condamné, le 9 novembre, à cinq ans de prison.Comme il n’est pas au procès, il conserve le droit de faire opposition et d’être rejugé. C’est ce qu’il demande par l’entremise de Me Steeve Ruben, un avocat parisien rendu célèbre par la chanson que lui a consacrée l’un de ses clients, le rappeur Sofiane.
Dans la perspective où Marc Scatigno se présente à la nouvelle audience, un équipage de police est mandé au tribunal. Il arrive effectivement au palais de justice à 13 h 35. Il est immédiatement mis sous bonne garde. Il comparaît dans le box des détenus. La défense soulève tout de suite une nullité de procédure.
C’est une détention illégale. Vous êtes en train de tordre la loi pour garder mon client de façon arbitraire. Je vais déposer plainte. – Me Steeve Ruben (avocat de la défense)
L’avocat estime que l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel n’est pas conforme. Le parquet conteste. Mais le tribunal se range, après délibéré, à l’avis de la défense. Axel Schneider, vice-procureur, se lève subitement, annonce qu’il va faire appel et ordonne à l’escorte de conduire Marc Scatigno dans les bureaux du parquet.
« C’est une détention illégale », s’emporte Me Steeve Ruben dans une répartie très scénique. « Vous êtes en train de tordre la loi pour garder mon client de façon arbitraire. Je vais déposer plainte. »
Fin de l’acte un. Le second va se jouer devant le juge des libertés et de la détention. Mais sans public.
L’audience est normalement publique devant le JLD. Selon la loi, c’est la règle. Et l’audience dite « en cabinet » est l’exception (au motif, par exemple, du secret de l’enquête). Pourtant, le passage de Marc Scatigno devant le JLD se fait derrière des portes closes (alors que l’enquête est bouclée depuis longtemps !). Et il en est de même pour le rendu de la décision (pour laquelle, d’ailleurs, aucune exception n’existe : elle est publique, un point c’est tout).
Le fin mot de l’histoire, il faut donc l’interpréter à travers les mimiques de ses principaux acteurs. Le représentant du parquet ressort le premier, le regard sombre, le pas rapide. Arrive Me Steeve Ruben tout en sourire et démarche chaloupé. « C’est le V de la victoire », lance-t-il. Il explique que la magistrate a considéré qu’elle n’était pas régulièrement saisie. La forme a ainsi encore primé sur le fond. Marc Scatigno est libre.
Attendu par un comité de soutien dans la cour du palais de justice, il craint encore que la police ne cherche à le cueillir au détour de la rue. « Non, non, ne t’inquiète pas », intervient son avocat. Il lui assure que la nullité obtenue en début d’après-midi a interrompu le mandat d’arrêt qui le vise.
Suite au prochain épisode… Car le parquet de Nevers n’a sans doute pas dit son dernier mot. D’ici là, des études complètes de droit sont recommandées pour suivre ce dossier pénal aux nombreux coups de théâtre.
Source : www.lejdc.fr
- Date: 26 mars 2019
- Titre: Le Journal du Centre
- Auteur: Bertrand Yvernault
- Photo: Pierrick Delobelle
- Catégorie: Articles de presse