Le ministère public a requis jusqu’à 14 ans de prison à l’encontre des prévenus accusés de trafic de stupéfiants. Maître Ruben, avocat de la défense, a obtenu la relaxe pour le trafic de stupéfiants et 30 mois pour le blanchiment.
L’histoire était entendue : cette deuxième journée d’audience allait voir s’opposer frontalement deux visions contraires. Pour la substitut du procureur, ce dossier, fruit d’une « procédure exceptionnelle », racontait « un trafic de stupéfiants d’ampleur internationale » pour lequel les gendarmes balisèrent « jusqu’à treize véhicules » et écoutèrent « des dizaines de milliers de conversations téléphoniques ». Pour la défense, il n’était « qu’une farce » bâtie sur des « suppositions » dans laquelle « les droits de la défense ont été court-circuités ».
Dans la matinée, le ministère public avait présenté « la constellation XXXXXXXX », du nom de la tête de réseau présumée. Cette « organisation », essentiellement composée d’amis d’enfance du quartier Orgeval, se serait distinguée par « son grand professionnalisme » en recourant à des contre-filatures, des téléphones cryptés (BlackBerry PGP), des brouilleurs d’ondes, des biens mis aux noms de tiers, des échanges de sacs aux contenus non identifiés et pléthore de brefs rendez-vous nocturnes.
Des peines de 14 et 12 ans de prison ont été requises contre XXXXXX et XXXXXXXXXXX, en état de récidive
La magistrate dressa le portrait de chacun des dix prévenus. XXXXXXXXXXX ? « Le donneur d’ordres », « prêt à tout pour assurer l’impunité de son trafic ». Un train de vie « incompatible » avec ses revenus d’intérimaire non imposable, matérialisée par une poignée d’achats dans des boutiques de luxe et des vacances trop confortables pour ne pas être jugées suspectes. 14 ans et 100 000 euros d’amende furent requis – en état de récidive, il encourt jusqu’à vingt ans de prison.
Son frère, XXXXXXXXXXXX, également en état de récidive, avait un problème de taille : les 100 000 euros en cash avec lesquels il avait été interpellé. Pour le reste, rien ne semble véritablement dépasser chez cet homme décrit comme « très méfiant au téléphone ». 12 ans de prison et 100 000 euros d’amende requis contre cet homme, libéré après huit mois de détention provisoire.
Paul Klatt, lui, avait été pris par le GIGN au volant du fourgon qui contenait 324 kilos de cannabis. « Et il vient pinailler sur le poids, c’est vous dire l’aplomb de ce type ! », s’agaça la procureure (notre édition d’hier). 10 ans de prison et 50 000 euros d’amende requis à son encontre. Soufiane Jorf, lui, aurait été « l’homme de main », « capable d’une grande violence ». N’avait-il pas, un jour, menacé un conducteur : « Fils de pute ! T’es qui ? Tu nous suis ? » Ce dernier était un enquêteur en filature. Huit ans de prison et 50 000 euros d’amende furent réclamés.
Le ministère public qualifia Moussa Ghoudjil et Marouane Boussouf de « lieutenants ». Pas grand-chose de probant, pourtant, hormis un SMS envoyé par ce dernier : « Tu veux de la coke ou de l’héro ? » Contre chacun d’eux, six ans de prison et 10 000 euros d’amende requis. Suivait Morou Soumare, décrit comme « les muscles de XXXXXXX », et chez qui avaient été saisis un gilet pare-balles, des drogues et une arme. Cinq ans de prison et 1000 euros d’amende requis contre lui.
A l’encontre de Steve Lamarle, accusé d’avoir conduit la voiture ouvreuse qui devançait le fourgon rempli des 324 kilos de cannabis, une peine de trois ans fut demandée. Trois ans de prison, encore, contre Michel Divry, toujours recherché. Deux ans de prison, enfin, contre Moulay A., soupçonné d’avoir collecté quelques milliers d’euros. À la suite de ces lourdes réquisitions, les avocats s’apprêtaient, sur tous les tons, à répliquer : « Et alors ? Où sont les preuves ? » (voir ci-contre) Qu’en penseront les juges ?
la grande contre-offensive des avocats de la défense
Les avocats de la défense torpillèrent tout : l’enquête, ce « château de cartes prêt à s’écrouler » ; l’instruction, « irrégulière » ; les réquisitions, « disproportionnées ». Tous plaidèrent la relaxe, totale ou partielle. « On a décidé que c’était un “dossier exceptionnel“, “d’une ampleur internationale” ! Mais elle est où l’importation ? Avec quel pays ? On est incapables de le dire ! », pointa Me Nicolas Brazy.
Les avocats de Paul Klatt attaquèrent plus durement « les propos méprisants, poisseux » de la procureure et « les grossièretés de ce dossier aux failles béantes ! » Selon eux, les gendarmes se seraient mis en tête « d’agrafer » XXXXXXXXXXX qui, au terme d’une précédente enquête, avait été « trop peu » condamné – en 2016. Il aurait ainsi été « raccroché » à ces 324 kilos de cannabis « dont on ne sait pas à qui ils appartenaient », tonna Me Arthur de la Roche.
La plaidoirie de Me Steeve Ruben, le conseil de XXXXXXXXXXXX, fut, formellement parlant, la plus séduisante. Ce spécialiste de la défense des petits et gros trafiquants de drogues, traqueur émérite du vice de procédure, résuma, charmeur : « Chacun, ici, est convaincu de quelque chose (…) Mais dans ce dossier, Madame la procureure fait de la malice un élément de culpabilité. Si les enquêteurs n’ont aucun élément probant sur un prévenu, c’est qu’il est, je la cite, “plus malin”. C’est dingue, non ? » Pour autant, que son client dise avoir trouvé 100 000 euros dans une poubelle, « c’est n’importe quoi ! » Pour s’interroger : « Mon client, lorsqu’il a été interpellé, était le passager d’une voiture. Qu’a dit le conducteur ? Il n’a jamais été interrogé. Y avait-il des traces de stups sur les billets ? On n’a pas vérifié. A-t-on cherché de l’ADN sur les billets ? Sur l’emballage plastique des billets ? Non plus. Les gendarmes étaient tellement aveuglés par l’idée d’accrocher XXXXXXXXXXXX qu’on ne cherche même plus à démontrer. »
De ces heures de paroles parfois convaincantes, souvent redondantes, le mot le plus cruel fut celui de Me Morad Falek, l’avocat de XXXXXXXXXXXX : « Je ne peux pas en vouloir à Madame la procureure : elle ne pouvait pas faire beaucoup avec rien. Mais on n’envoie pas des gens en prison sur des “on suppose que”, les “on n’a rien sur lui, forcément c’est le chef !” »
Source : www.lunion.fr
- Date: 30 janvier 2019
- Titre: L’Union
- Auteur: Mathieu Livoreil
- Photo: L’Union
- Catégorie: Articles de presse