
Les avocats de la défense ont plaidé mercredi 9 avril devant la cour d’appel de Paris pour leurs confrères mis en cause dans ce dossier, mais aussi pour toute une profession, meurtrie et inquiète.
Ils sont dans le prétoire, sans robe. Et sans doute Joseph Cohen-Sabban et Xavier Nogueras se sentent-ils terriblement nus devant ces magistrats avec lesquels habituellement ils travaillent mais qui, depuis dix jours, les jugent en appel. La veille, l’avocat général Christophe Auger a requis la relaxe pour l’accusation de complicité de tentative d’escroquerie au jugement (notre article ici). Et soudain, l’air s’est fait plus léger. Vu des bancs du public, on avait le sentiment que la famille judiciaire commençait à se réconcilier après un trop long et bien trop violent conflit, une déchirure qui a fait deux victimes, Xavier Nogueras et Joseph Cohen-Sabban. Ils y ont laissé pour le plus jeune bien des illusions et, pour le plus âgé, un peu de sa carrure de « seigneur ».
La famille professionnelle est venue
Ce mercredi est le jour des plaidoiries. Si l’ambiance est nettement moins lourde qu’en première instance, les plaies sont encore à vif. L’espoir de la défense est que l’on puisse refermer ce dossier sur une belle décision d’appel qui confirmera qu’il n’y a pas eu et qu’il ne pouvait y avoir de complicité de tentative d’escroquerie au jugement de la part de ces deux avocats. Et, si possible aussi, d’obtenir l’allègement des peines prononcées au titre de la violation du secret professionnel. Ils ont bien commis ce délit et le reconnaissent, mais ils avaient des circonstances atténuantes ; qui plus est, ils ont suffisamment payé leur faute avec tout ce qu’ils ont enduré depuis le début de cette procédure. Sur les bancs du public, où prennent place habituellement les familles dans un procès pénal, se serrent les 11e secrétaires de la conférence pour Xavier Nogueras qui est un des leurs, et les jeunes collaborateurs de son cabinet pour Joseph Cohen-Sabban. Les voilà, les familles des pénalistes et ça en dit long sur la place qu’occupe le métier dans leur vie.
Le pénaliste court toujours après le temps
Me Christian Saint-Palais est le premier à prendre la parole, en défense de Joseph Cohen-Sabban. Habituellement, c’est le plus jeune qui commence – ici cela aurait dû être Me Steeve Ruben – mais précisément, l’avocat a un autre procès qui l’attend. « Si celui que je défends après savait qu’en ce moment je ne pense pas à lui, il me le reprocherait » commente-t-il. Ainsi va la vie de pénaliste, il court toujours après le temps. Ce qui a pu être qualifié de négligence à l’encontre des avocats dans ce dossier n’est en réalité que la manière dont ils sont contraints de travailler au quotidien. Ce sera l’un des fils rouges des plaidoiries que d’expliquer aux magistrats les difficultés du métier.
La violation du secret professionnel leur a valu trois ans d’interdiction d’exercer avec sursis et 15 000 euros d’amende en première instance. Si la matérialité de l’infraction est acquise et non contestée, encore faut-il ensuite en démontrer la gravité. Nous sommes après l’arrêt de mise en accusation, explique Me Saint-Palais qui cite l’analyse de l’ancien vice-bâtonnier Vincent Nioré. Selon celui-ci, une fois l’instruction terminée et la cour saisie, le secret n’est plus le même, il perd de l’intensité. « Je suis très attaché au secret et j’entends qu’on nous fasse grief de ne pas le respecter, mais, précise Christian Saint-Palais, le dossier d’assises a toujours été la propriété du client. Autrefois c’était de gros tomes rouges, que l’avocat allait chercher au greffe et lui apportait dans sa cellule, c’était sa propriété et il en faisait bien ce qu’il voulait ». Selon lui, il était donc possible de remettre des documents à un tiers en accord avec le client. D’ailleurs, rappelle-t-il, beaucoup de journalistes ont les ORTC (ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel) et les OMA (ordonnance de mise en accusation) des procès qu’ils couvrent, car on considère que ces documents ne sont pas couverts par le secret.
« On peut explorer plusieurs voies, on aboutit toujours à la relaxe »
S’agissant de la complicité de tentative d’escroquerie au jugement, Me Saint-Palais rappelle que, selon le tribunal, en l’absence de connaissance de la fausseté du document, il ne pouvait pas y avoir de condamnation. Or, la manipulation ne pouvait fonctionner que si précisément les avocats n’étaient pas au courant. « Nous savons que nous pouvons être instrumentalisés, mais ceux qui mènent ces projets savent bien qu’il ne faut pas nous inclure ». Puis il souligne que l’avocat général conclut de la même façon au terme d’un raisonnement différent.« On peut explorer plusieurs voies, on aboutit toujours à la relaxe » constate Christian Saint-Palais. Quels pouvaient être les griefs du réquisitoire de première instance pour justifier une condamnation ? La négligence ? « Nous ne contestons pas les imperfections, mais elles ne manifestent jamais l’adhésion au projet criminel ». L’abstention ? « À condition que l’auteur ait choisi en connaissance de cause de s’abstenir ». En réalité, il n’y avait qu’un seul critère à retenir : « oui ou non connaissions-nous la fausseté des pièces ? L’ORTC et le jugement ont répondu : non ». Et l’avocat de conclure, « nous espérons repartir le cœur plus léger, la passion ravivée, c’est important pour le barreau et aussi pour la justice ».
« Un seigneur qui a perdu son sourire, un seigneur que j’ai vu en larmes… »
Me Steeve Ruben prend à son tour la parole. Changement de style avec ce bouillonnant plaideur qui fut le collaborateur de Joseph Cohen-Sabban, puis son associé avant de s’installer à son compte. À l’éloquence tranquille, teintée d’un chantant accent béarnais de son prédécesseur, succède un ténor agité qui alterne tempête et mezzo voce, au gré des vagues de passion qui le transportent. « On peut avoir l’impression que les choses se sont apaisées. Mais Joseph Cohen-Sabban n’oublie rien. Chaque jour, il porte le poids énorme de cette humiliation, c’est le procès d’une profession » explique-t-il. Me Marie Violleau à la barre a évoqué, deux jours plus tôt, « un seigneur », Me Ruben complète : Joseph Cohen-Sabban, c’est une « puissance », un « cœur », un « Marseillais dans l’âme » qui a appris à la centaine de professionnels formés à son école, le respect, la mesure, l’indépendance, à savoir dire oui ou non, « mais toujours dans la défense ». Un seigneur qui a perdu de sa superbe, depuis cette affaire explique-t-il, qui n’a plus la force de marcher autrement qu’avec une canne, et ne peut aller déjeune aux Deux palais entre midi et deux parce que ça lui prendrait trop longtemps de faire l’aller-retour. Alors, il déjeune d’un sandwich sur les marches. « Un seigneur qui a perdu son sourire, un seigneur que j’ai vu en larmes à l’audience correctionnelle, lorsqu’il exprimait l’humiliation qui était la sienne. Il a été violé dans son intimité par cette justice, notre institution, cette justice à qui il a donné 48 ans de sa vie, par des juges obtus, sourds, échafaudant des accusations qui n’existaient pas ».
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- Date: 10 avril 2025
- Média: actu-juridique.fr
- Auteur: Olivia Dufour
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- Catégorie: Articles de presse