Actualité juridique pénale
Réforme de la justice : Une extraordinaire régression pour les droits de la défense
Disparition programmée du juge d’instruction, justice au rabais… Marie-Aimée Peyron, bâtonnier du barreau de Paris, dénonce avec force le texte de loi.
Réduction des droits des victimes, disparition programmée du juge d’instruction, justice au rabais… Marie-Aimée Peyron, bâtonnier du barreau de Paris, dénonce avec force la réforme de la justice dont l’examen commence mardi 9 octobre au Sénat. Interview.
Quelle disposition vous heurte le plus dans cette loi ?
Sous couvert d’économies et de simplification, cette réforme constitue en réalité une extraordinaire régression pour les droits de la défense. Du jamais-vu en un siècle. Il a fallu attendre 1897 pour que l’avocat puisse assister son client durant l’instruction. Mais, aujourd’hui, l’avocat est de nouveau écarté. En effet, de plus en plus de dossiers seront traités, non plus par des juges d’instruction, mais par des procureurs. Or quand le parquet enquête, les avocats n’ont pas accès aux dossiers de leurs clients et ne peuvent effectuer aucun recours. Il s’agit d’une atteinte gravissime à notre système démocratique.
N’est-ce pas déjà le cas aujourd’hui ?
Vous avez raison, de moins en moins d’instructions sont ouvertes. Il y a encore trente ans, un tiers des dossiers étaient placés dans les mains des magistrats instructeurs. Aujourd’hui, il y en a seulement 7% à 8%. Demain, après cette loi, il en restera à peine 2% à 3%. Or, l’ouverture d’une instruction permet à une victime ou à un mis en cause de faire valoir ses droits. Ce qui n’est pas possible pendant les enquêtes préliminaires conduites par le parquet. Le texte de loi prévoit pourtant d’étendre considérablement les pouvoirs des procureurs en matière de géolocalisations, de perquisitions ou d’écoutes téléphoniques. Ce qui de facto limitera le recours à des juges.
En quoi une enquête conduite par un procureur serait-elle fort différente de celle menée par un juge d’instruction ?
Le ministère public dispose de pouvoirs considérables. Sans prévenir une victime, il peut décider de classer sans suite une affaire, ou ordonner un simple rappel à la loi, même en cas d’infraction grave. Qu’en est-il alors du sentiment de justice ?
Et puis, rappelons que, contrairement au procureur qui demeure sous le contrôle de l’autorité politique, le juge d’instruction, lui, est indépendant. Sans saisie d’un juge, il n’y aurait jamais eu d’enquêtes dans les dossiers du Mediator ou du sang contaminé. D’ailleurs, on constate bien que le pouvoir politique n’a nullement l’intention de rendre indépendants les procureurs. Le chef de l’Etat ne va-t-il pas jusqu’à se mêler lui-même de la nomination du procureur de la République de Paris ?
D’autres présidents, comme Nicolas Sarkozy, se sont déjà attaqués au juge d’instruction.
Nicolas Sarkozy ne s’en est jamais caché, il était favorable à la disparition du juge d’instruction. Il voulait aller vers un système à l’américaine, où les investigations sont conduites par le ministère public. Mais, au moins, en contrepartie, pour rééquilibrer notre système pénal, il prévoyait d’accorder de nouveaux droits aux avocats. Ici, rien de pareil. On a le sentiment que le gouvernement avance masqué.
Date: 9 octobre 2018
Titre: L’Obs
Auteurs: Matthieu Aron
Photo: © Philippe Huguen / AFP
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