Actualité juridique pénale
Réforme de la justice : Vers une justice sans juge, sans avocat, sans citoyen
Alors que la réforme de la justice arrive au Sénat ce mardi, le bâtonnier de Paris, Marie-Aimée Peyron, alerte sur les risques de ce projet.
Avocats, magistrats ou greffiers hostiles au projet de loi de réforme de la justice manifesteront -fait rare- leur opposition devant le Sénat mardi, où l’examen du texte, largement amendé en commission, débute dans l’hémicycle. Voix des 29 000 avocats du barreau de Paris, le bâtonnier Marie-Aimée Peyron explique pourquoi la profession, mobilisée depuis des mois, crie à l’alerte rouge.
Quel regard portez-vous sur ce projet de réforme de la justice ?
MARIE-AIMÉE PEYRON. Ce texte, qui prétend vouloir simplifier et déjudiciariser, organise une justice sans juge, sans avocat et sans citoyen. Mû par une logique budgétaire, il éloigne le citoyen de la justice en écornant les droits de la défense et les libertés. La France a le même nombre de juges qu’il y a vingt ans, or le nombre d’affaires est de plus en plus important. La solution n’est pas de déjudiciariser au détriment du justiciable mais de recruter ! Ce texte donne en outre, en matière pénale, tous les pouvoirs à l’accusation, soit au parquet, au détriment des personnes poursuivies et des victimes.
Comment cela se traduit-il ?
Prenons un exemple concret. Aujourd’hui, lorsqu’une victime d’infraction porte plainte, le procureur a trois mois pour décider s’il poursuit ou pas. Trois mois, c’est long ! Or, le projet prévoit de passer ce délai à six mois, soit encore plus d’attente et un risque accru de déperdition des preuves.
Globalement, en matière pénale, ce texte marque un recul de la place du juge d’instruction et des droits de la défense. Il favorise la voie de l’enquête préliminaire conduite par le parquet, soit un cadre où l’avocat, considéré comme un empêcheur, n’a aucun accès. Il octroie aux policiers, sans garde-fous, des pouvoirs d’écoutes, de géolocalisation et de perquisitions pour une multitude de délits qui n’ont rien à voir avec le grand banditisme ou le terrorisme. Il fait ainsi entrer encore davantage l’état d’urgence dans l’état de droit.
La justice repose sur le principe de la balance entre l’accusation et la défense. Sans équilibre, vous n’avez plus la justice. C’est la conception même de la justice qui est menacée.
La mainmise de l’exécutif sur la nomination du procureur de la République de Paris en est-elle l’illustration ?
Le Président de la République avait déclaré, en janvier devant la Cour de cassation, qu’il n’était pas favorable à un parquet indépendant. Nous, avocats, tout comme les magistrats, sommes très attachés à la séparation des pouvoirs. Une justice rendue dans l’intérêt du citoyen, en toute liberté, doit être indépendante.
Que pensez-vous de la création d’un tribunal criminel départemental remplaçant les cours d’assises ?
Nous y sommes opposés. Les cours d’assises actuelles, composées de jurés populaires, fonctionnent très bien. L’oralité des débats permet de prendre le temps du procès. L’institution de ces tribunaux revient, sous couvert de gagner du temps, à instaurer de « petits crimes », comme le viol, en réduisant le droit des victimes à un procès. Cela va à l’encontre d’un mouvement comme #MeToo et des évolutions de la société.
Date: 8 octobre 2018
Titre: Le Parisien
Auteur: Interview Pascale Egré
Photo: © LP/Yann Foreix
Catégorie: Actualités juridique pénale