Actualité juridique pénale
Vidéo-audience pour les demandeurs d’asile
Prévu dans la loi asile et immigration promulguée en septembre, l’usage de la vidéo-audience à la Cour nationale du droit d’asile, qui traite les recours des déboutés, est critiqué par plusieurs acteurs associatifs et judiciaires.
Les villes de Lyon et Nancy ont été choisies pour expérimenter pendant deux ans une disposition de la loi dite asile et immigration actant l’usage de la vidéo-audience. Celle-ci avait été votée en août et promulguée en septembre. Ce qui ne plaît pas au barreau de Lyon, qui l’a fait savoir mardi lors d’une conférence de presse.
Lorsqu’une personne demande l’asile ou la protection subsidiaire de la France – un statut intermédiaire accordé à ceux qui n’entrent pas dans les critères de l’asile mais qui sont en danger dans leur pays –, son dossier est instruit par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Lorsque celui-ci le rejette, le demandeur peut déposer un recours auprès de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). La disposition expérimentée à Lyon consiste à généraliser, pour tous les recours de personnes domiciliées dans l’Ain, en Ardèche, dans la Loire et dans le Rhône, l’usage de cette vidéo-audience pour éviter qu’elles ne se déplacent physiquement à Montreuil (Seine-Saint-Denis), où se trouve la CNDA.
Pour les avocats lyonnais et plusieurs associations comme le Groupe d’information et de soutien des immigré·e·s (Gisti), ce recours à la vidéo-audience ne permettrait pas de correctement traiter des dossiers aussi délicats que ceux des demandeurs d’asile. «La vidéo-audience pose un sacré problème d’accès au juge. La personne qui joue son avenir n’est pas en contact immédiat, toute une partie du dialogue est évacuée. Cela pose aussi le problème de la présence de l’avocat : il devra choisir entre être avec son client, ou être avec le juge. Les interactions nécessaires à une vraie défense seront limitées», estime Patrick Henriot, du Gisti. «Ne pas pouvoir discuter avec son client ou avec le juge, c’est radicalement incompatible avec le principe même d’une audience», insiste-t-il.
Des médecins, réunis au sein de l’association Médecine et droit d’asile, ont également écrit à la présidente de la CNDA, fin décembre, estimant, dans un courrier consulté par Libération et lisible en intégralité ci-dessous, que «le propre de ces demandes d’asile chez des personnes ayant subi ou risquant de subir des traitements dégradants est […] l’absence de preuve tangible de ces violences physiques subies, et de leurs séquelles physiques. C’est là toute la difficulté de votre travail, mais aussi du nôtre. Cette absence de preuve donne toute l’importance à l’entretien, et donc aux rapports humains et aux échanges (écoute, dialogue) pour arriver à une décision la plus juste possible».
Pour Morade Zouine, avocat et président de la Commission droit des étrangers au barreau de Lyon, «dans les cas où l’intime conviction domine les débats, il est impératif d’être là physiquement. Les explications de l’intéressé sont centrales. En 2011, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté avait estimé qu’il fallait y recourir avec précaution». Et de rappeler qu’en 2014, «la vidéo-audience a été supprimée dans les cas d’hospitalisation sans consentement, car on a estimé qu’il était important que le juge puisse échanger de visu avec les personnes. Les juges se déplacent donc dans les hôpitaux».
Date: 5 mars 2019
Titre: liberation.fr
Auteurs: Kim Hullot-Guiot
Photo: © Photo Marc Chaumeil. Divergence
Catégorie: Actualités juridique pénale