Actualité juridique pénale
Violences sexuelles : la notion d’emprise commence à prendre corps dans le système judiciaire
C’est une notion souvent évoquée dans les médias mais difficile à caractériser aux yeux de la justice. Pourtant, avocats, juges et enquêteurs sont de plus en plus conscients du phénomène.
Dans sa plainte, elle utilise les mots de « déni », de « sidération » et d' »emprise ». Florence Porcel, journaliste, écrivaine et chroniqueuse, accuse Patrick Poivre d’Arvor de viols entre 2004 et 2009. La première fois, elle avait 21 ans. De source proche du dossier, elle déclare alors à des amies qu’elle est amoureuse. Dix-sept ans plus tard, Florence Porcel décrit, selon Le Parisien (article payant), « un mécanisme d’emprise psychologique dans lequel elle se serait alors enferrée, un système de déni né de l’admiration qu’elle avait pour cet homme célèbre, puissant et bien plus âgé ». Et décide de porter plainte, à la suite de laquelle une enquête préliminaire pour « viols » a été ouverte le 18 février, à l’encontre de l’ancien présentateur vedette du « 20 heures » de TF1.
La veille, Georges Tron, maire de Draveil (Essonne) et ex-secrétaire d’Etat, est condamné en appel à cinq ans de prison, dont trois ans ferme, pour viols et agressions sexuelles. La cour d’assises de Paris a estimé que cet homme de pouvoir avait exercé sur l’une des deux plaignantes, Virginie Ettel, une ancienne employée municipale, une « contrainte morale » caractéristique d’une « absence de consentement », du fait de sa personnalité et de sa supériorité hiérarchique. Or, cette notion de « contrainte » est cruciale, car c’est l’un des éléments qui permet, avec la « violence », la « menace » ou la « surprise », de caractériser un viol selon la loi.
« Cette décision signifie que la contrainte morale peut résulter de l’emprise », analyse auprès de franceinfo Loïc Guérin, l’avocat d’Eva Loubrieu, la seconde plaignante. Et même si Georges Tron a été acquitté des faits de viol et d’agression sexuelle dénoncés par sa cliente, il salue un verdict historique : « C’est la démonstration de la réalité de l’emprise et l’illustration de son ampleur. »
« Une séduction qui vise à paralyser l’autre »
Néanmoins, le terme d' »emprise » n’apparaît pas dans les motivations de la cour d’assises de Paris. « C’est une notion qui commence à prendre corps dans notre affaire, un animal juridique qui mérite de se nourrir », concède Loïc Guérin. Un « animal » que la justice cherche encore à apprivoiser, tant la définition de ce phénomène est complexe sur le plan psychologique. « L’emprise est une forme de relation inégalitaire, dans laquelle un individu exerce un pouvoir sur l’autre. Une violence psychologique qui s’installe dans le temps et parvient à soumettre l’autre », explique la psychiatre et psychanalyste Marie-France Hirigoyen, autrice de Les Narcisse et de Femmes sous emprise.
Cette description fait écho aux révélations de Florence Porcel, qui parle de « sentiments amoureux » vis-à-vis de « PPDA », mais « créés artificiellement » par l’emprise. Elle a ainsi admis avoir envoyé des messages « à caractères érotiques » après le premier viol dont elle accuse le présentateur. « Avec l’emprise, vous ne savez plus ce qui est bon ou mauvais pour vous, vous renoncez à toute contestation ou critique, vous ne résistez plus et vous en venez à vous soumettre, décrypte Marie-France Hirigoyen. Un peu comme Mowgli face au serpent Kaa dans ‘Le Livre de la jungle’. »
Date: 2 mars 2021
Titre: France Info
Auteur: Violaine Jaussent
Photo: Ellen Lozon / France Info
Catégorie: Actualité juridique pénale